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Prologue

« Au fait maman, je ne rentrerais pas directement après les cours ce soir. »


J’observe le sourire qui s’affiche sur son visage avec appréhension en croquant dans un des délicieux sandwichs au fromage qu’elle a préparés pour le petit-déjeuner.


« Ah oui ? Tu vas voir des amis ? me demande-t-elle. »

Je sais que la réponse ne va pas lui plaire, mais tant pis.


« Non, je vais chez Tray.

— Ah. »


Elle perd instantanément son expression joyeuse. C’est dingue, c’est systématique. Mon frère a même transformé ça en jeu et s’amuse à mentionner le nom de mon petit-ami juste pour voir nos parents s’énerver. Au début ça m’amusait, mais maintenant j’avoue que… plus trop.


« Maman… Tu sais bien que je ne suis pas avec lui pour vous embêter. C’est vraiment quelqu’un de bien.

— Là n’est pas la question. Il n’est pas…

— Riche ? »

Elle ne répond pas et se contente de détourner les yeux avant de retourner à son petit-déjeuner. Papa et elle n’ont jamais dis ouvertement que c’était la raison pour laquelle ils n’approuvaient pas notre relation, mais je sais que c’est pour ça. Effectivement, Tray vient d’une famille avec peu de moyens ; c’est sa mère qui l’a élevé seule alors qu’elle enchaînait et enchaîne encore aujourd’hui des horaires abusifs dans un restaurant. Personnellement, je l’admire pour ça, mais pas mes parents, visiblement. Ils ne voient que le côté trivial de la chose : ils ne sont pas riches, donc Tray n’est pas un bon parti avec lequel je pourrais me marier à la fin du lycée et avoir la belle vie sans travailler. Comme si c’était ce dont j’avais envie. Ma mère a fait ça, elle a épousé mon père qui vient d’une riche famille finnoise, alors qu’elle-même vient d’une riche famille égyptienne. Ce mélange de culture est bien la seule chose qui n’est pas traditionnelle chez eux.


Je finis mon repas et me lève pour débarrasser.


« Je ne veux que ton bonheur Kelita, m’interrompt maman, me surprenant. »

C’est rare qu’elle pousse la discussion d’elle-même sur le sujet. Cependant, cette excuse me fait bien rire. Je secoue la tête et lui répond sèchement :


« Apparemment, ta définition du bonheur ne correspond pas à la mienne. »



Contrairement à mon petit frère Nilo, qui a un an de moins que moi, j’ai toujours été l’enfant modèle. Alors que lui préfère jouer aux jeux vidéo et écouter du metal et du hip-hop au lieu de faire ses devoirs, moi je prends des cours du soir pour me perfectionner dans certaines matières et aide notre majordome ou ma mère à faire la cuisine. Alors que lui préfère les grosses rangers, les jeans troués et les vestes de rebelle, moi je m’habille de manière sobre et chic, la parfaite fille sage de bonne famille. Alors forcément, quand j’ai commencé à sortir avec Tray, un fils de prolétaire, mes parents ont été… outrés. Oui, c’est le mot je crois. Comment osais-je dévier ainsi de mon image d’héritière parfaite ?


Ils ne comprennent rien. Je n’ai pas choisi de les décevoir volontairement. J’y peux rien, quand je suis avec lui, c’est… magique.

« Tu ne vas quand même pas t’endormir ? murmuré-je alors qu’il se love contre moi après m’avoir taquinée pendant cinq bonnes minutes.

— Non… mais t’es confortable… »


Je lui caresse tendrement la joue. Je pourrais rester comme ça des heures, à ne rien faire avec lui. C’est dire à quel point je me sens… confortable, en sa présence.

J’ai tendance à être toujours occupée à droite et à gauche, mais quand je suis avec Tray, je profite juste du moment présent.


Je soupire.


J’espère vraiment qu’un jour mes parents accepteront de le rencontrer, que je puisse leur montrer que c’est véritablement avec lui que j’ai envie d’être.


… Et cet idiot s’est vraiment endormi…



« Keli, je crois qu’il y a Leslie qui te dévore encore des yeux…

— Shht, y’a Tray à deux mètres, t’es folle ?

— Tu crois qu’il a rien remarqué chaton ? Ça crève les yeux… Je suis sûre qu’il le sait et qu’il s’en bat les couilles. »

« Je m’en fiche, j’ai pas spécialement envie de savoir de toute façon qu’un autre type me reluque…

— ‘Un autre type’ ? C’est pas ton pote ?

— C’est le fils d’un couple d’amis de mes parents, nuance, la corrigé-je en essayant à nouveau de me concentrer sur ce qu’il y a de marqué sur le tableau d’annonce. »

Pour le coup, ils auraient été ravis que ça soit Leslie que je choisisse, c’est certain. Dans le genre fils de bonne famille, on ne fait pas mieux. Il est mignon hein, j’ai jamais dis le contraire, mais… il n’est pas Tray, c’est tout.


Je tourne la tête dans sa direction et il soutient mon regard quelques instants.

Il détourne ensuite les yeux avant de se mettre en mouvement et de pénétrer dans l’établissement. Je secoue la tête alors que Haki rit à côté de moi. En voilà une qui s’amuse beaucoup à mes dépends. Sympa pour une meilleure-amie !


Tray n’a rien remarqué, il est en train de discuter avec mon frère, assis sur un banc.

Je pense que Haki a raison, cela dit. Tray s’en fiche. Il ne m’a jamais fais de crise de jalousie alors que ça va bientôt faire un an qu’on est ensemble, et que l’intérêt évident de Leslie ne date pas d’hier. Il me fait confiance. Penser cela me met du baume au cœur. En plus, Leslie a beau chercher mon regard quand on se croise, il ne m’a jamais manquée de respect ou importunée. Il nous arrive même de discuter amicalement de temps en temps, et il n’a jamais rien tenté, il respecte le fait que je ne suis pas célibataire, et pour ça, je le remercie. Je dois juste supporter de temps en temps les taquineries de ma meilleure-amie, mais en dehors de ça, je ne suis pas à plaindre.



Plusieurs semaines après cette conversation, nous sommes tranquillement en train d’attendre Tray dans le couloir en face de sa salle de classe.

Il finit par sortir, et il est accompagné.


« Désolé de l’attente, le prof m’a demandé si je pouvais faire visiter le lycée à Rose ici présente. Elle est nouvelle. »

« Oh, salut ! T’es dans la classe de Tray ? demande Haki, toujours curieuse.

— O-Oui, c’est ça. »


Pourquoi elle bégaye ? On ne va pas la manger !


« Bienvenue à Saint-Charles High ! lui souhaité-je avec un grand sourire. Tu viens d’emménager à Willow Creek ?

— C’est exact, mes parents viennent d’être mutés dans la région. Je connais personne.

— Eh bah tu pourras te joindre à nous alors ! Je m’appelle Kelita, je suis la petite-amie de Tray, et voici Haki, ma meilleure-amie. Je suis sûre qu’on va bien s’entendre. »


Si elle croit que je n’ai pas vu l’air déçu qu’elle a eu lorsque j’ai mentionné être la copine de Tray, elle se trompe, la petite Rose. Mais bon. Elle peut bien le trouver mignon, je m’en fiche. Il ne m’a jamais saoulé par rapport à Leslie, je vais pas être celle qui va lancer les hostilités pour… ben, rien.


Et puis, elle a vraiment l’air sympa. Je ne suis pas contre une addition à notre petit groupe !



Mon année de terminale ne pardonne vraiment pas, je suis submergée de devoirs… heureusement que Nilo est là pour m’aider à les faire dans la bonne humeur. Bon, il se sert probablement de moi pour lui donner les réponses aux siens, mais c’est plus agréable de les faire à deux, dans tous les cas. Haki, Rose et Tray ne sont pas toujours dispo pour faire des séances de groupe.


« Keli, comment on pose une division déjà ?

— … T’es censé savoir ça depuis le primaire.

— Non mais attends, j’utilise que ma calculatrice depuis au moins le milieu du collège, j’ai oublié moi…

— Demande à Enni.

— Mais elle est qu’en CM1 !

— Oui, elle devrait pas avoir eu le temps d’oublier, elle.

— … C’est déjà la honte d’avoir à demander ça à ma grande sœur, mais si en plus je dois demander ça à ma petite sœur…

— Fallait pas oublier comment on pose une division, conclus-je en souriant et en retournant à mon devoir d’histoire. »


J’entends Nilo soupirer et du coin de l’œil, je le vois pianoter sur son téléphone quelques instants avant de pousser une exclamation de victoire et écrire précipitamment quelque chose sur son cahier. Tricheur.

Au bout d’une dizaine de minutes, il pose son crayon et s’étire.


« Ça va toujours avec Tray ? »


Mon stylo s’arrête net sur ma page et je relève les yeux vers lui.


« Oui pourquoi ?

— Oh, pour rien… »


Je l’observe un instant, suspicieuse.

Il le remarque.


« Ben quoi ? J’ai le droit de me renseigner sur la vie amoureuse de ma sœur non ? Je suis un frère attentionné, c’est tout !

— Arrête ton char, c’est pas du tout ton genre de poser ce type de questions ! C’est les parents qui t’ont demandé de te renseigner pour eux ?! »

« Pfff… Oui et non. Ils m’ont demandé oui, mais peu importe ce que tu me répondais j’allais leur dire que tout va bien parce que c’est pas leurs oignons, t’inquiète. »

Je pousse un profond soupir avant de me prendre la tête entre mes mains. Ça fait un petit moment que le sujet n’a pas été abordé, et je pensais qu’ils se faisaient petit-à-petit à l’idée, mais apparemment pas.


« J’en ai marre, Nilo…

— Ouais, j’ai bien l’impression. Moi j’dis, fais ta vie, tu leur dois rien.

— Quand même, ce sont nos parents…

— Ouais mais t’as pas demandé à venir au monde. Personne n’a demandé ça. C’est pour eux qu’ils ont fait des gosses. On n’a pas à se restreindre à leur vision étriquée du monde juste pour leur faire plaisir. »

Je ne peux m’empêcher de rire en secouant la tête. C’est sûr que lui, il a décidé depuis longtemps qu’il ferait bien ce qu’il veut de sa vie, et je crois que je suis un peu admirative de son attitude. J’aimerais avoir autant de courage pour m’opposer fermement à nos parents. Je sais qu’ils attendent avec impatience le jour où je laisserais Tray tomber pour « revenir dans le droit chemin », alors qu’ils ont abandonné avec Nilo. Ça ne veut pas dire qu’ils ne l’aiment pas, mais ils se sont… résignés. J’aimerais qu’ils se résignent me concernant aussi, mais comme je suis l’ainée, je dois avoir une espèce de responsabilité selon eux, une bêtise du genre. Comme si on était encore en 1920.



C’est bientôt la dernière ligne droite avant l’obtention de mon diplôme, et je ne suis pas la seule à avoir du mal avec la fin de l’année. Enni, pourtant aussi studieuse que moi, a du mal avec certains concepts dernièrement, alors je l’aide comme je peux.

« Et là, comme ça ?

— Oui ! Alors attention, tu as mis un ‘m’ en trop.

— Ah, zut, s’exclame-t-elle en gommant soigneusement sa feuille avant de réécrire le mot correctement. »


J’entends des pas se rapprocher alors que je continue d’expliquer la leçon à Enni, et j’aperçois mon père s’arrêter dans le couloir, les bras croisés.

Il est à peine plus au repos à la maison que devant ses hommes, c’est insupportable. On n’est pas ses soldats, mais des fois il nous fait un peu nous sentir comme tels… surtout quand son regard est loin d’être chaleureux comme maintenant.

Je finis par tourner la tête vers lui.


« Un souci, papa ?

— Quel gâchis.

— … De quoi tu parles ? »


Il ne répond pas pendant quelques instants, puis fronce davantage les sourcils.


« Si tu ne romps pas avec ton… compagnon avant la fin de l’année, je considèrerais que tu n’as plus ta place dans cette maison. »


Et sur ces mots jetés sans contexte, il reprend sa marche dans le couloir en direction des escaliers qui mènent à l’étage. Je suis… trop choqué pour m’énerver. Je n’aurais jamais pensé qu’il irait jusqu’à me donner un ultimatum. C’est… C’est mon père, quand même. Mais apparemment, sa réputation est plus importante que mon bonheur.


Enni relève les yeux de son cahier, inquiète, et mon expression doit faire peur puisqu’elle s’exclame « Kelita ! » avant de sauter de sa chaise et de me prendre dans ses bras.


« Promis, je parlerais à papa, et il changera d’avis ! »

« Je ne crois pas ma puce…

— Mais si, tu verras ! »


Je sens mes larmes se mettre à couler et je serre davantage ma sœur contre moi. Pourquoi est-ce que les adultes ne peuvent pas garder l’innocence de l’enfance comme ça ? En quoi c’est si important que je ne colle pas parfaitement à leur vision idéale ?! J’en ai marre. Il veut que je m’en aille ? Très bien. Une fois mon diplôme en poche, je me tire d’ici avec Tray.



Ou pas. Je n’ai même pas eu le temps de lui parler de l’altercation avec mon père.


Je viens de sortir du bâtiment. Notre prof de maths est absente, nous libérant une heure plus tôt. Je sais que Tray et Rose finissent à cette heure-là, alors j’observe les alentours, espérant les trouver.


Je finis par les voir. Mais maintenant que je les ai trouvés, j’aurais préféré ne pas y parvenir.


Ils sont en face de moi, misérablement cachés par un des arbres devant le lycée. Étroitement enlacé alors qu’ils s’embrassent goulument.

Je serre les poings à m’en faire mal. Mes yeux brûlent. Mon cœur bat la chamade. Haki, près de moi, semble avoir remarqué, et m’attrape le bras pour essayer de m’éloigner de cette vision d’horreur. Je fais un mouvement sec pour me détacher de sa prise, et me dirige à grandes enjambées vers le couple. J’essaie de retenir mes larmes pour n’afficher que de la colère. Hors de question de lui montrer à quel point j’ai le cœur brisé.


« T’es sérieux ? »


Ils se détachent l’un de l’autre en un sursaut, et Tray me regarde, paniqué.


« Keli… C’est pas –

— Si tu dis ‘c’est pas ce que tu crois’ je te jure que je t’envoie mon genou entre les jambes de toutes mes forces. »

Il ne répond pas. Évidemment.


« Ça fait un an et demi que je tiens tête à mes parents te concernant, arguant encore et encore que tu es quelqu’un de bien, que j’aime profondément, peu importe ta situation sociale, et c’est ça que tu fais ? Mon père m’a menacée hier soir de me jeter de la maison si je ne mettais pas fin à notre couple j’te signale, au cas où t’aurais pas compris l’ampleur que ça a pris chez moi. J’étais résolue à m’enfuir avec toi quitte à me faire renier par ma propre famille ! »


J’entends Rose prendre une inspiration de surprise, mais je l’ignore. Je reprends mon souffle après avoir tant crié. Tray tente de prendre la parole :


« Keli–

— Tais-toi. Je veux plus jamais entendre parler de toi. C’est clair ? »


Je le foudroie du regard alors que son expression s’attriste davantage. Je rêve, il s’attendait à quoi ? J’attrape à mon tour le bras d’Haki qui m’a suivie tout en restant en retrait, et nous entraîne vers chez moi alors que le barrage cède et que je me mets à sangloter.

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