Finalement, Théo est allé directement chez ses parents. Ça ne servait à rien qu’il reste ici, ça nous aurait juste troublé, et nous aurait empêché de faire le point. Je me suis à nouveau plongée dans mon travail, et j’ai fais aussi un premier pas vers Eric. Il allait m’être d’une grande utilité dans ma décision finale, c’est sûr. On a repris contact par texto (il m’avait dit qu’il préférait qu’on ne se parle plus avant que je revoie Théo, ce que j’avais compris et accepté sans problème), et petit à petit, on s’est revu, d’abord juste en coup de vent, puis pour prendre un verre… et finalement, au bout de quelques semaines, on a décidé que ça serait chez moi.
Sauf que le matin même, je me suis sentie nauséeuse. J’ai failli tout annuler en lui disant que j’étais malade, mais je me suis rétractée en me disant que ça allait sûrement passer, et que j’avais juste dû manger quelque chose de pas très bon (ça m’apprendra à manger des yaourts dont la date de péremption est dépassée, tiens…). Fiou, mais ça fait pas du bien…
Sauf qu’une petite voix dans ma tête me dit que ça n’est pas normal, et que des yaourts, on peut les manger même deux mois après la date de péremption sans problème. Allons bon, qu’est-ce qui m’arr-… Oh. Oh non. Oh non, non, non…
Ni une, ni deux, je prends mon téléphone et compose le numéro de maman à toute vitesse.
Je n’ai qu’à attendre deux tonalités pour qu’elle décroche.
« Ça alors, ma chérie ! Justement, on parlait de toi avec ton père, il faut que tu nous donnes les dates de ton prochain match, qu’on vienne te voir jouer ! »
Je ne réponds rien, j’ai la gorge trop serrée.
« Sélana ? Allô ?
— Pardon, maman… Mais j’ai… un problème.
— Qu’y-a-t-il ma puce ?
— Je… J’ai des nausées, depuis ce matin… Je… Je crois que j’ai oublié de prendre ma pilule une fois dans le mois… Et… J’ai couché avec Théo quand il est revenu… a-avant qu’on se sépare… »
J’entends au loin mon père qui demande ‘ola, qu’est-ce qui se passe Aya ?’. Ma mère a dû probablement faire une sacrée tête… Elle fait ‘ssht’ à papa, ce qui me fait rire.
« Tu… Tu as fais un test de grossesse ? »
Avant même que je puisse répondre, j’entends encore papa qui hurle en fond ‘un test de quoi ?!!! Passe la moi !!’. Il n’arrêtera jamais, c’est pas possible… ‘Arrête Aurèle, ou je m’enferme dans la salle de bain !’ Heureusement maman a toujours su le recadrer…
« N-Non, je… je t’avoue que je viens de réaliser que c’est peut-être ça… Je suis paumée…
— Respire à fond, ma chérie. Ça va bien se passer. Bon. Ce que tu vas faire, c’est que tu vas descendre à la pharmacie et en acheter un. Tu le fais, et tu me rappelles ensuite quand tu as le résultat, d’accord ?
— D’accord…
— Et surtout, n’oublie pas qu’on est là pour toi, si tu as besoin de quoi que ce soit.
— Merci maman…
— C’est normal, ma chérie. Allez, file, à toute à l’heure ! »
Je raccroche après un dernier au revoir et, munie d’une nouvelle détermination, j’enfile mon manteau et prends l’ascenseur. Si ça se trouve, je me fais des films…
•
Bon beh en fait non. C’est positif. Purée… Je me prends la tête dans les mains. Comment je vais faire… ? Mettre ma carrière en pause, à un moment aussi crucial ? C’est… C’est presque inenvisageable ! De rage, je jette le test dans la poubelle. Respire, Lana… J’ai besoin à nouveau de conseils maternels, je crois… Je finis de me rhabiller et me penche pour tirer la chasse. Dans quelle galère je me suis encore fourrée, moi…
•
Après avoir discuté à nouveau avec maman, j’ai décidé de maintenir ma soirée avec Eric malgré tout. Elle m’a dit que ça me ferait du bien de penser à autre chose, pour minimiser l’impact d’une telle nouvelle, et que l’annoncer à Théo pouvait attendre demain. Même papa m’a dit quelques mots, il a été adorable, a répété que si j’avais besoin ils feraient tout pour que je sois à l’aise et que mon bébé aussi le soit. Ils m’ont fait pleurer, ces andouilles. Ils m’ont aussi raconté des anecdotes de quand moi ou ma sœur étions petites. Ça m’a… consolé un peu. Peut-être que c’est pas si horrible, d’être mère, après tout ? Maman m’a dit que si vraiment je n’avais pas envie, je pouvais toujours avorter. Mais ça m’a fait un petit pincement au cœur d’y penser. C’est une possibilité, oui… mais que j’ai finalement vite écartée, au bout de quelques heures de réflexion. Sans même trop savoir pourquoi… Mon éternel esprit combatif, probablement ? Un énième challenge à relever ? Aucune idée.
Enfin bref… Il faut que je pense à Eric, aussi. Si j’ai envie qu’il fasse maintenant partie de ma vie, il va bien falloir qu’il le sache… Enfin, ça ne sera pas pour tout de suite, d’abord je veux profiter de sa présence. En effet, lors des fois précédentes, nos rendez-vous étaient en public, alors je ne pouvais pas agir comme je le souhaitais. Mais je compte bien profiter de l’intimité de mon logement pour faire un premier pas…
… et un deuxième…
… et un troisième.
C’est… Rien à voir. J’en oublie mes déboires de tout à l’heure. C’est toujours pas la même chose qu’avec Théo au début, c’est pas explosif, mais c’est doux, chaleureux, et ça me donne envie de me blottir dans ses bras. Pour me remettre d’une rupture, c’est… parfait ? Et si ça dure, ça serait encore mieux.
« Je dois en déduire que tu as fais ton choix ? me demande-t-il avec un sourire en coin.
— Oui. Ce… Ce n’était plus la même chose, avec lui. Et il était d’accord. On a eu une relation aussi passionnée qu’elle fût courte. Mais avec toi… je sens que c’est différent. »
C’est à son tour de rougir. Enfin, il était temps, c’est toujours moi d’habitude !
Sauf que je recommence à être prise de nausées légères, qui me remettent vite les pieds sur terre. Je perds instantanément mon sourire, et ça le fait s’alarmer.
« Quelque chose ne va pas Lana ?
— Si, c’est juste que… j’ai… il y a un petit imprévu, en plus.
— Quoi donc ? »
Je m’éloigne un peu de lui, et… reste muette. Comment est-ce que je lui dis ça ? C’est… beaucoup plus difficile à dire que ce que je pensais.
« Lana… ?
— Je… J’ai dû… oublier de prendre ma pilule depuis quelques temps… Ça m’est déjà arrivé avant, sauf que là, en plus, j’ai… quand Théo est revenu… »
Eric me regarde un instant comme s’il n’arrivait pas à comprendre ce que je lui disais.
Et puis… il réalise.
« T-Tu es enceinte ?! »
« Oui. Mais ça ne change rien. Théo fera peut-être partie de ma vie comme étant le père de mon enfant, mais c’est tout. Tu n’as pas à t’en faire.
— M-Mais enfin, Sélana, ce… tu n’imagines quand même pas… ! Un bébé ?!
— Oui, un bébé. Ça va être difficile pour moi aussi, tu sais, puisque je vais devoir mettre ma carrière en pause, et ça ne me plaît pas du tout, mais c’est comme ça, il est trop tard, maintenant. »
Il me regarde, ahuri, puis finit par reprendre ses esprits. Il secoue légèrement la tête, et me répond ce que je redoutais le plus…
« Je suis désolé, mais je peux pas. »
Ça me fait le même effet que s’il m’avait giflée. Tout pareil.
« C-Comment ça, tu peux pas ? C’est pas toi qui va le porter cet enfant !
— Non, c’est vrai. Et tu as tout mon respect pour ce que tu t’apprêtes à endurer pour donner la vie. Mais un enfant, ça bouleverse l’existence, Sélana. Et… comment veux-tu que j’accepte de m’embarquer là-dedans avec toi, alors qu’on est tout juste officiellement un couple ?
— Mais… Eric…
— Je suis désolé, vraiment…, dit-il en se levant sous mes yeux affolés. Je… Je ne suis absolument pas prêt à ça… Les enfants, c’est… tellement loin, dans mon esprit. Je dois encore batailler tous les jours pour prouver que je suis digne de diriger la galerie d’arts de San Myshuno, je suis loin d’être un adulte accompli. Des enfants, d’accord, mais dans dix ans, pas maintenant…
— Ce… Ce n’est même pas ton enfant… !
— Exactement. Si c’était de moi que tu étais tombée enceinte, bien sûr, je ne me serais pas défilé, je ne suis pas comme ça. Mais là, j’ai… j’ai le choix et… je dois t’avouer que je tiens beaucoup trop à ma liberté, et à ma vie telle qu’elle est maintenant. Je recommence tout juste à m’intéresser à l’amour, alors tu imagines bien que les enfants, c’est très loin de mes préoccupations actuelles. »
Je suis abasourdie. Je m’étais dis qu’il le prendrait mal, mais jamais qu’il me larguerait aussi sec…
« T-Tu t’en vas, comme ça ? »
« Je suis vraiment désolé, Sélana… J’espère que tu trouveras la bonne personne avec qui partager ta vie. »
Et sur ces mots, il franchit les derniers mètres qui le séparent de la porte d’entrée. Lorsqu’elle se referme derrière lui, je craque. Je tombe à genoux, et pleure toutes les larmes de mon corps.
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