Pendant les deux semaines et demie qui ont séparées son annonce de son arrivée, Théo a été plus bavard que jamais. Il avait hâte qu’on se voit, et voulait régulièrement voir avec moi pour qu’on organise des choses dans la grande ville. J’étais à la fois attendrie et étouffée par son effort. C’était mignon, mais j’avais en même temps besoin de me concentrer sur mes sentiments, et il ne m’aidait pas beaucoup en faisant ça…
J’ai également continué à voir Eric. Il m’a dit qu’en fait c’était lui qui dirigeait la galerie d’arts dans laquelle il m’avait croisée, et je l’ai frappé gentiment sur l’épaule en lui disant ‘pourquoi tu me l’as caché, idiot !’, le faisant rire. Je ne l’ai pas mal pris, il avait déjà deviné que l’art et moi ça faisait (au moins) deux. Mais je me suis rendue compte que je lui cachais aussi quelque chose, et de taille… et c’est en voyant la manière dont il me regarde des fois que je me suis décidée à être franche avec lui.
Aujourd’hui, nous sommes de sortie dans un des bars à karaoké de la ville. Je suis ravie, j’aime tellement chanter ! Mais je prends la décision de d’abord lui parler de… Théo.
« On va s’asseoir cinq minutes ? demandé-je en commençant à me diriger vers une table libre. »
Il hoche la tête et m’accompagne.
« Je suis désolée, mais il faut que je te parle d’un truc que tu vas peut-être mal prendre…
— Olala, tu me fais peur, arrête ! s’exclame-t-il en riant tout de même. »
Je prends une grande inspiration, et je lui avoue tout. Que je ne suis pas célibataire, mais que mon copain vit à l’autre bout du pays, principalement, mais aussi que je ne l’ai pas vu depuis des mois, et qu’il me manque. Ce qui est vrai, hein. Je lui précise aussi qu’il rentre bientôt. Je vois son sourire se faner lentement, mais il ne disparaît pas totalement.
« Tu sais, je m’en doutais, me répond-il en me prenant au dépourvu. Tu n’as jamais vraiment réagi à mes avances, et pourtant j’avais l’impression que tu les saisissais parfaitement.
— Je suis désolée, j’aurai dû être franche dès le début…
— Peut-être. Mais dis-moi… Est-ce que j’ai rêvé ? Parce que j’ai vraiment eu l’impression qu’il y a une véritable alchimie entre nous. »
Son sourire me fait rougir, comme d’habitude. Et à cette constatation, je me dis que je ne peux définitivement pas lui mentir.
« Non, tu n’as pas rêvé… Oh, je suis horrible, Théo ne mérite pas ça, et toi non plus…
— Eh, calme-toi Sélana, ce n’est pas grave. Il ne s’est rien passé, non ?
— Oui mais…
— Écoute. Je vais prendre mon mal en patience, et je vais attendre que tu le voies à nouveau. Si tu éprouves quelque chose pour moi, peu importe ce que c’est, j’ose espérer que c’est parce que tes sentiments pour lui ne sont plus les mêmes. Alors j’attendrais que tu t’en rendes compte par toi-même. Ok ? »
Je baisse les yeux une seconde, pesant le pour et le contre, mais je n’ai finalement pas besoin de beaucoup réfléchir.
« Oui, ok. »
Je soupire, toute la tension retombant d’un coup.
Eric est vraiment quelqu’un de formidable. Ce n’est pas aussi explosif qu’avec Théo, mais… mon cœur réagit tout pareil.
« Je serais encore là quand tu auras pris ta décision. De toute façon, on inaugure bientôt une nouvelle exposition à la galerie, je ne vais pas avoir une minute à moi pendant les prochaines semaines, alors prends ton temps ! »
Je sens une drôle de sensation dans mon ventre en l’entendant dire ça. Je suis peut-être déjà amoureuse, si ça se trouve…
•
Avec le travail, le temps qui sépare nos retrouvailles est passé à toute allure… Je n’ai pas eu trop le temps d’y penser, et voilà que dans une demi-heure environ, il devrait toquer à la porte de mon appartement. J’ai les mains moites, le cœur serré, et le ventre en vrac. J’espère que je ne lui vomirais pas dessus de stress, au moins…
Je me force quand même à avaler un petit déjeuner, il ne manquerait plus que je tombe dans les pommes !
Je range un peu (c’est la moindre des choses), et file prendre une rapide douche. A peine suis-je revenue vers la cuisine que je l’aperçois sur le point de toquer à la porte.
Allez, respire, tout va bien se passer… ou pas.
J’ouvre la porte avec un grand sourire, et immédiatement il me prend dans ses bras.
« Lana !! Comme tu m’as manqué…
— Toi aussi, Théo… »
Je l’invite ensuite à se mettre à l’aise et à enlever son blouson.
« Bon bah… Bienvenu chez moi ! »
Je lui fais visiter les lieux qu’il va, vraisemblablement, occuper pendant la prochaine semaine au moins. Il n’a pas décidé encore s’il allait voir ses parents, ou pendant combien de temps. Le connaissant, je pense qu’il ira passer au moins le dernier week-end chez eux, mais bon, on ne sait jamais…
« C’est ravissant, dis-donc ! s’émerveille-t-il. Rien à voir avec ma chambre d’étudiant, haha.
— En même temps, je commence à avoir un salaire correct, et puis, mes parents ont insisté pour m’aider, alors… ça donne ça.
— Eh mais tu as même une pièce dédiée à l’entrainement ! J’y crois pas ! »
Il a l’air excité, c’est mignon. Je ne peux m’empêcher de rire.
« Oui, mais c’était nécessaire pour une sportive professionnelle comme moi, ne fais pas ton envieux !
— Ah bah je ne te garantis pas que je ne vais pas aller tous les jours dans cette pièce, héhé. »
On discute encore un peu, je lui montre quelques machines, puis nous retournons dans le salon. Il attrape sa valise et l’emmène dans la chambre. Je l’accompagne et lui recommande de la mettre dans le dressing, avec les autres vêtements. Il s’exécute et ensuite revient vers moi. Sans préambule, il m’attrape par la taille tout en me regardant amoureusement.
« Excuse-moi, mais… j’en meurs d’envie depuis que tu m’as ouvert la porte… Je peux t’embrasser ? »
Je suis étonnée qu’il ne l’ait pas fais avant, pour tout dire. Il est d’habitude beaucoup plus… tactile. Il sent peut-être mon inconfort, d’où sa question ? Enfin, je ne vais pas lui dire non.
« Bien sûr, idiot. »
Lorsque nos lèvres se touchent, je ressens un peu de chaleur se répandre en moi, mais rien de comparable à la passion qui nous animait avant. Alors que… ça aurait dû être l’inverse, non ? On ne s’est pas vu depuis si longtemps, et tout ce que je ressens c’est ça ?
Quand il recule, je crois percevoir du doute dans ses yeux, mais cela disparaît aussi vite que c’est venu. A la place, il me fait un sourire coquin.
« Et si on fêtait nos retrouvailles comme il se doit ? »
Je lève les yeux au ciel tout en gardant le sourire. C’est bien un mec… Mais après tout, pourquoi pas ? Ça nous aiderait peut-être à y voir plus clair. Il faut dire que les parties de jambes en l’air étaient légendaires dans notre couple…
•
Eh bien… C’était… décevant. Ce n’était pas nul, loin de là, mais incomparable à… avant. C’est toujours agréable d’être proche de lui de cette façon, mais finalement, est-ce que ce n’est pas simplement le fait d’être proche de quelqu’un qui est agréable ? Ça n’a peut-être plus rien à voir avec nous. Et je crois qu’il l’a senti aussi.
« Théo… Sois franc, s’il-te-plaît. Tu… Tu as remarqué… ? Que… Que c’est plus comme avant ? »
Il me regarde quelques secondes avant de baisser les yeux et de se triturer les mains.
« Je pensais que j’imaginais des trucs. Ou que j’étais tellement stressé à l’idée de venir ici que j’en perdais de vue l’essentiel. Mais… Non, tu as raison. C’est bizarre… Comme si... je sais pas…
— On s’est éloigné plus qu’on ne l’aurait voulu, apparemment. »
Il hoche lentement la tête et tourne à nouveau la tête vers moi, mais avec un air dépité.
« Tu crois que je suis parti trop tôt ?
— Comment ça ?
— Bah… On n’a pas vraiment eu le temps de se construire en tant que couple que déjà je faisais mes valises pour aller vivre à l’autre bout du pays. C’était sûrement… trop rapide. Trop brusque, comme changement.
— Tu crois ? »
Ça fait sens, ce qu’il dit. Si nous avions été en couple depuis plusieurs années déjà, peut-être que l’issue aurait été différente. Peut-être que nos sentiments n’auraient pas disparu aussi vite. Peut-être que… qu’on aurait été plus forts.
Il me fait un sourire triste.
« Tu m’as vraiment manqué, Lana. Je ne t’ai pas menti là-dessus.
— Mais toi aussi tu m’as manqué ! »
Il rit devant ma spontanéité.
« Mais on n’a pas besoin d’être amoureux pour avoir envie de revoir quelqu’un. »
J’avais peur que ça finisse dans les larmes, si jamais on n’était pas sur la même longueur d’ondes. Mais apparemment, on n’aura pas besoin d’en arriver là…
« Je suis contente qu’on ait la même vision des choses. Mais ça me semble tellement rapide de dire ‘bon bah on arrête tout’ … Si ça se trouve, ça va revenir ? »
En réalité, je n’y crois pas beaucoup. Surtout vu ce que je commence à éprouver pour Eric. Mais lui, ça semble le faire réfléchir un instant. Puis, il me répond :
« Je te propose un truc. On fait… une sorte de pause. On décide que nous ne sommes plus un couple. Donc plus de contrainte. Mais on s’autorise à revenir vers l’autre si on a le moindre doute, ok ? Si je me dis que finalement, les sentiments que j’avais pour toi sont toujours bel et bien présents, je t’appellerai, et on en discutera. Et il en ira de même pour toi, si ça te va. Tu es d’accord ? »
Je lui souris et l’attire contre moi pour une dernière étreinte.
« D’accord. »
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