Mesdames et messieurs… Roulements de tambour, s’il-vous-plaît… Merci… Vous avez devant vous le nouveau chef de la principale patrouille intergalactique de notre planète, répondant au titre de Ranger de l’Espace… Je vous le donne en mille… Moi !
Je viens d’être encensé par mes supérieurs, comme quoi je suis l’homme qu’il faut à chaque situation, quand le danger est présent au plus profond de la galaxie… Papa, Maman, Tetsu… J’espère que vous êtes fiers de moi, de là où vous êtes.
Mais toute cette responsabilité me pèse beaucoup, mine de rien. Alors un bon bain est de mise, après toutes ces émotions ! Je rentre dans notre salle de bain qui semble m’appeler, et croise Albae qui se lave les mains.
« Oh, papa, coucou ! T’as l’air super heureux, il s’est passé un truc bien ?
— Oui ma puce ! J’occupe officiellement dès aujourd’hui le poste de Ranger de l’Espace !
— Wouaaah ! Trop cool ! »
Et elle m’enlace. Aah, qu’elle est mignonne !
« Tu m’autorises à l’annoncer à Lana ?
— Bien sûr ma chérie, vas-y.
— Youpi !! »
Il en faut peu pour rendre heureux un enfant, tout de même.
Elle quitte précipitamment la salle de bain, et quant à moi, je me fais enfin couler un bain bien mérité !
•
Un peu plus tard dans la soirée, alors que je viens de terminer une partie d’échec, Sélana se place en face de moi et commence à me féliciter.
« C’est trop cool p’pa ! T’as géré !
— Merci, ma chérie. »
« Ça fait quoi d’arriver au sommet de sa carrière, comme ça ?
— Eh bien ça donne un sentiment d’accomplissement assez fort, je dois dire. Et puis, je suis fier de ce que je fais, je protège des gens, je sauve des planètes entières… c’est pas rien ! Bon, je ne suis pas tout seul, évidemment, mais c’est tout comme.
— Wouah… Moi aussi j’aimerai bien faire un truc cool comme ça…
— Tu as une idée du domaine ? Parce que je suis sûr que tu peux y arriver ! »
« Bah… Je suis pas aussi intelligente que toi… Donc je sais pas…
— Ne te dénigre donc pas comme ça ! Tu as plein de qualités, et la motivation est ce qu’il y a de plus important.
— Ouais, mais quand même… J’comprends plus rien à l’école… J’suis devenue bête en rentrant dans l’adolescence… »
« Ne dis pas de bêtises ma chérie. Personne ne devient stupide en rentrant à l’adolescence. Tu as d’autres choses qui te préoccupent, sûrement, et davantage de centres d’intérêt, donc tu as moins envie de faire tes devoirs et tu es plus distraite en cours. Rien d’anormal, jusque là !
— … Comment tu fais pour savoir tout ça ? Tu m’espionnes ? »
« Hahaha, pas du tout, non. C’est juste le résultat de mes observations récentes. »
Et de mes lectures sur le comportement adolescent. Mais ça, hors de question de lui dire…
« Profite de ta jeunesse, tu as bien le temps avant de penser à ce que tu pourrais faire plus tard. Dans tous les cas, ta mère et moi te soutiendrons, d’accord ? »
Elle me sourit, puis se lève pour me faire un câlin.
« Merci, t’es vraiment le meilleur papa du monde. »
Après m’avoir fait un bisou sur la joue, elle s’éclipse dans sa chambre pour aller se coucher. Je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet, bien sûr, la voir se dénigrer comme ça me fait mal au cœur. Mais avec Aya, on l’accompagnera, et on fera tout pour qu’elle commence plus tard sereinement sa vie d’adulte.
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Quand j’ai dis à Sélana de profiter de sa jeunesse, je voulais bien sûr dire qu’il ne fallait pas qu’elle se prenne la tête avec son avenir maintenant, qu’elle reste plutôt encore blottie dans l’innocence de l’enfance encore un moment… ça ne voulait pas dire « qu’est-ce que tu attends pour répondre aux avances d’Eliott maintenant qu’il est au lycée avec toi » ?!
Je rentre du travail, et à peine ai-je eu le temps d’aller me changer que je tombe sur eux.
« Dites-donc les jeunes, j’vous dérange pas trop, ça va ? »
Ils s’éloignent l’un de l’autre tout de suite en sursautant.
« Papa !
— Quoi « papa » ?! Je rêve ! Monte dans ta chambre, Sélana ! »
Elle pousse un juron en se levant et monte les escaliers quatre à quatre.
« Ton langage, jeune fille ! »
Eliott en profite pour essayer de me passer devant pour sortir de la maison.
« Hep, hep, hep, toi ! Que je te reprenne pas à peloter ma fille comme ça ! Vous êtes des enfants, vous êtes beaucoup trop jeunes pour faire ce genre de bêtises ! Allez, du vent ! »
Je fulmine alors que je le regarde sortir de la maison. Non mais pour qui il se prend ?!
« Aurèle… ? Qu’est-ce qu’il se passe ? demande Aya en sortant de la salle de bain.
— Il se passe que notre fille décide que c’est un comportement tout à fait normal de bécoter le premier venu sur notre canapé !
— Hein ? Quel premier venu ? »
« Eliott, le fils des voisins !
— Ah, son petit-copain ?
— Son quoi ?! »
Depuis quand ?! Pourquoi ? Comment ça se fait qu’Aya est au courant et pas moi ?!!
« … Aurèle, c’est quoi cette réaction disproportionnée que tu me sors, là ? Ce sont des ados, forcément qu’ils vont faire ce genre de choses ! »
« Comment ça, ‘forcément’ ? Je ne faisais rien de tel à leur âge !
— Oui, mais admets que c’est plutôt toi qui sortais de la norme… et pas l’inverse… »
Je ne trouve rien de bien senti à répliquer, mais ma colère ne diminue pas. Je n’arrive pas à me défaire de l’idée que ce sont des enfants, et que les enfants ne font pas des choses d’adultes…
« Écoute… A son âge, j’avais aussi un petit-ami, il n’y a rien de plus normal. Au lieu d’essayer d’empêcher notre fille de faire ce que font tous les adolescents, il faudrait plutôt en discuter avec elle, qu’elle soit préparée… Elle a déjà essayé de m’en parler un peu, c’est comme ça que j’ai su qu’elle fréquentait Eliott. Si on la couve trop, on l’expose au contraire davantage aux dangers. »
Je détourne les yeux alors que je commence à avoir un peu chaud… Aurais-je… honte ?
« Eh… »
Je sens sa main sur ma joue, qu’elle caresse doucement. Je souris malgré moi.
« Moi aussi, c’est mon bébé, et j’ai moi aussi du mal à la voir grandir. Mais la vie est ainsi faite, mon amour. Tu es tellement compréhensif sur tout le reste, peut-être que… tu peux essayer de faire un effort aussi à ce niveau-là ? »
Je lâche un soupir fatigué. Des fois, j’ai l’impression de ressembler à mon père, avec ses crises de colère… Mais lui, jamais il ne m’aurait reproché d’avoir une petite-amie à l’époque. Je pense qu’il m’aurait même encouragé, en y repensant…
« Tu es raison… Je sais pas ce qui m’a pris… Je vais aller m’excuser…
— C’est un bon début. »
Je la prends contre moi.
« Merci, Aya… Je suis un idiot…
— Mais non… On va s’habituer. »
Je lui fais un dernier sourire et monte les escaliers avant de me diriger vers la chambre de nos filles. J’ouvre doucement la porte et aperçois Lana assise sur son lit. Elle me tourne le dos.
« Sélana…
— Va-t-en, j’ai pas envie de te parler. »
Aouch. Mais je l’ai mérité, je suppose.
« Je suis venu m’excuser. »
Elle ne répond rien, alors je prends ça comme une invitation pour venir m’assoir près d’elle. Elle tourne la tête vers moi, et j’ai l’impression qu’elle a les yeux un peu rouges… Elle a pleuré ? Oh non… J’ai fais pleurer mon bébé… ?
« Je suis désolé, Sélana, je ne sais pas trop ce qui m’a pris… Je ne veux que ton bien, je te le promets. J’ai juste… du mal à voir que tu grandis, apparemment…
— D’accord, mais c’est lourd, papa… J’ai pas besoin d’un chaperon…
— Le fait est que si, justement. Je n’ai pas le droit de t’empêcher de fréquenter… Eliott, mais tu es encore jeune, alors il faut que tu nous parles, d’accord… ? »
« Hm… Pour être honnête, j’avais peur d’une réaction comme celle-ci, c’est pour ça que je t’ai rien dis…
— Entre nous, ma chérie, je crois que ce qui m’a fait le plus de mal, c’est que tu me le caches. Tu as le droit d’avoir un jardin secret, évidemment, mais ton premier petit-copain ? C’est important, non ?
— Oui, j’imagine… »
Je lui souris.
« Et si tu veux parler de sexe, va voir ta mère, j’ai pas envie d’en entendre parler… !
— Aaah, papa, c’est gênant, arrête !
— Pardon, pardon ! »
On finit par rire tous les deux, puis je décide de la laisser tranquille. Qui aurait cru que finalement, le plus dur, ça serait de lâcher prise ?
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