Un peu avant mon déménagement, j’ai pris des mesures pour que papa et Tetsu soient enterrés près de papy et mamie, c’est-à-dire sur le terrain où vivent Gaëlle et sa famille. On va ensuite réfléchir à créer un emplacement où nous pourrions tous les placer. Gaëlle dit que ça ne la gêne pas qu’ils soient là, donc pour l’instant, on va laisser comme ça… mais ça n’est pas une solution permanente.
Je leur dis au revoir une dernière fois, ce qui n’est pas une mince affaire. Je pleure à nouveau. Mais Aya est avec moi, heureusement. On s’allonge pour regarder les étoiles, espérant ainsi faire comme si nous les voyions vraiment.
« Tu crois qu’ils sont heureux, là où ils sont ? demandé-je stupidement.
— J’en suis persuadée, me répond tout de même Aya. »
Je soupire. Je ne crois pas à toutes ces histoires de vie après la mort. Mais en ce moment, j’aimerai bien, juste pour me persuader qu’ils sont ensemble et heureux, quelque part, plus amoureux que jamais.
« Dis, Aya…
— Mh ?
— Tu voudrais emménager avec moi ? »
Elle ne répond tout d’abord rien. Mais je suis patient. J’attends. J’observe les constellations. Celles que je peux nommer sont nombreuses. Tout comme les planètes qu’on distingue légèrement par endroit. Je crois qu’on voit Sixam, ce soir.
« Avec plaisir, Aurèle. »
Mon cœur s’emballe et mes lèvres s’étirent en un sourire. Tu avais raison, Tetsu. J’ai une femme extraordinaire sur qui compter.
•
Le point positif d’être fils de l’homme politique le plus influent de sa génération, c’est que l’héritage est… conséquent, dirons-nous. En plus, comme Tetsu n’a pas eu d’enfant, j’hérite également de tous ses biens. Et donc de son argent. De médecin, je rappelle. Vous faites le calcul ? Je suis riche. Sans rire. Les séries de six chiffres sur un compte en banque, je ne voyais ça que dans les films. Et le pire, c’est que ça ne m’intéresse pas vraiment, tout ça. Ce que j’ai donc fait, c’est que cet argent, je l’ai utilisé en partie pour acheter une belle maison à Brindleton Bay, que j’ai entièrement faite refaire pour qu’elle corresponde à nos goûts à tous les deux, et le reste (tout en gardant suffisamment d’argent pour vivre), je l’ai épargné sur un compte auquel je ne toucherai pas. Seuls mes potentiels héritiers y auront accès. De toute façon, je devrais gagner assez bien ma vie, dans le futur, donc je n’ai vraiment pas de soucis à me faire.
Tout ça, ça me donne l’impression de revivre. Vous saviez que l’air marin et frais de Brindleton Bay est très agréable ? Il fait plus froid, certes, mais ça fait tellement de bien…
J’ai choisi une maison totalement isolée du reste de la ville. Non pas que je n’envisage pas d’aller m’y balader, mais l’idée d’avoir l’impression d’être seul au monde me plaisait beaucoup. En plus, comme je fais beaucoup de bruit lorsque je travaille sur ma fusée, et comme je risque d’en faire encore plus en la faisant voler pour la première fois (et les suivantes), ce n’est pas plus mal pour mes éventuels voisins.
Les murs étaient déjà de cette couleur, et j’avoue que ça m’a séduit. L’intérieur a été intégralement refait, par contre*. Et je suis vraiment content qu’Aya ait accepté de venir vivre avec moi. Parce qu’elle est vraiment trop grande pour quelqu’un de seul… je comptais peut-être inconsciemment là-dessus quand je l’ai choisie au départ.
Aya n’est pas venue seule. Elle a un compagnon à quatre pattes qui répond au nom de Kallen, et que j’ai rencontré pour la première fois lorsque nous avons emménagé. Et je crois que lui, il n’a aucun mal à se faire à sa nouvelle maison…
Quand je vois la relation qu’ils ont tous les deux, je me demande comment j’ai fais pour ne pas y penser avant. Un animal a le mérite d’être à nos côtés et de nous aimer, peu importe notre apparence ou notre caractère. Mon adolescence aurait peut-être été un peu plus mouvementée en compagnie d’un chien ou d’un chat !
Kallen est un chien adorable, qui plus est. Il est vraiment gentil, et il n’a eu aucun mal à me considérer comme son maître également.
Je l’emmène même courir avec moi !
Enfin bon, tout commence bien, quoi !
Sauf que ça ne dure jamais, hein… ?
Maman est morte. Hier. Sven aussi. Accident de voiture. Le cœur de maman a lâché alors qu’elle conduisait, et ça les a envoyé tout droit dans un arbre. Aucun des deux n’en est sorti vivant. Pourquoi est-ce qu’ils n’auraient pas pu partir en paix, dans leur sommeil, ou je ne sais quoi ? Non, bien sûr. Trop simple. Trop doux…
J’ai absolument besoin de penser à autre chose. Mais je n’arrive pas me concentrer. Ni sur mon bouquin de fuséologie, ni sur la maintenance de ma fusée, ni sur mon punching-ball, ni sur… rien.
Je regarde Aya. C’est elle qui m’aide toujours dans ces cas-là. Sans vraiment me rendre compte de ce que je fais, je me lève et vais l’embrasser avec toute la passion dont je suis capable. Elle est surprise, mais se laisse faire.
Je ne sais pas ce que j’ai. J’ai comme un incendie dans la poitrine. C’est agréable, et douloureux à la fois. Mon corps agît tout seul, comme si j’étais dans une espèce de transe. Très vite, on se retrouve dans notre lit.
Je suis à la fois conscient et inconscient de ce qu’on est en train de faire. Mais ce que je sais, c’est que je me sens en pleine osmose avec Aya, et que ça me fait un bien fou. Pour la première fois depuis bien longtemps, je me pense plus aux pertes que j’ai subies de façons trop rapprochées. Je ne pense qu’au présent, et qu’à l’amour que j’éprouve pour cette femme. Mon amie. Ma partenaire. Mon âme-sœur.
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Aurèle n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour le sexe. Jusqu’à aujourd’hui. Je suis heureuse de pouvoir être enfin proche de lui ainsi, mais j’ai l’impression qu’il l’a fait pour de mauvaises raisons. Pour oublier. Et ce n’est pas ce que je voulais…
« Aurèle… »
Il relève la tête et me regarde. Il me sourit avec tendresse.
« Tu es sûr que ça va… ? »
Je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter.
« Pas tellement.
— Tu… regrettes ?
— Non, non, pas du tout… Merci d’avoir été patiente avec moi. Ça doit pas courir les rues les mecs qui ne s’intéressent pas trop au sexe, répond-il en riant. Mais là, je pense que j’ai compris pourquoi les gens font ça. On laisse tomber toutes nos barrières, et on peut vraiment profiter de la personne qu’on aime, sur tous les plans. Enfin, je dis ça, mais c’est juste ma vision des choses. Je ne suis pas sûr que j’en aurai envie souvent, mais… J’ai l’impression qu’on est encore plus proches, maintenant. »
Je suis soulagée. Je ne voudrais pas qu’il se soit forcé, pour une raison ou une autre.
« Tout le monde ne pense pas comme ça, mais je suis ravie que tu y trouves ton compte, au moins un peu. Mais… Ce n’est pas un peu pour penser à autre chose que tu as fais ça… ?
— Je ne sais pas… J’ai remarqué qu’en effet je ne pensais plus à rien, à part à toi, mais j’en ai vraiment eu envie, sur le moment. Je suis désolé que ça ait été dans des circonstances aussi tristes... Surtout si ça te fait douter.
— Oh, Aurèle, je ne doute pas de toi, voyons… Je ne veux juste pas que tu te forces, peu importe la raison… D’accord ? »
Je l’embrasse tendrement sur le front alors qu’il me répond « d’accord ».
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