Le temps a passé. Nous nous sommes remis lentement du décès de papa. Enfin… Moi je me suis fais à l’idée, mais pour Tetsu, il est très probable que ce ne soit qu’une apparence qu’il se donne. Il tient sa promesse, cela dit. Je n’ai jamais été aussi chouchouté, je crois. Je lui ai demandé s’il voulait qu’on déménage, tous les deux. Il m’a répondu que, si ça m’allait, il préférerait qu’on reste ici. Apparemment, être entouré de la présence de papa l’aide à aller de l’avant, étrangement.
Comme prévu, on a eu du mal à ne pas être envahis par les journalistes. Déjà, dès qu’on allumait la télé, on tombait sur des reportages ou des éditions spéciales faites à la va-vite sur le « décès du dirigeant le plus apprécié du Monde Sim » … Je sais pas s’ils essayent de nous avoir en nous brossant dans le sens du poil avec des titres aussi grossiers, mais ça ne va pas marcher, croyez-moi…
Cela dit, Tetsu a retrouvé une certaine vigueur… Je n’aurai pas aimé être le journaliste qu’il a envoyé balader l’autre jour. Son langage était très… fleuri, on va dire.
« Bon, alors, dis-moi, comment ça se passe, avec Aya ? me demande-t-il un matin alors que je suis en train de prendre mon petit-déjeuner. »
Je me penche légèrement vers lui et lui souris, taquin.
« Non mais dis donc, c’est que tu prendrais le relais pour t’immiscer dans ma vie amoureuse ?
— Aha ! Tu admets qu’elle fait partie de ta vie amoureuse, Aurèle !! »
Touché.
Il n’élabore pas davantage et se contente de changer de sujet pour éviter de me mettre mal à l’aise. Mais c’est vrai que… j’y pense de plus en plus. Elle a vraiment été là pour moi lors du décès de papa, et Tetsu n’est pas idiot, il l’a bien vu. Elle a un côté très touchant et bienveillant, en plus de sa pitrerie, que j’ai découvert en profondeur. Ça me change tellement de tous ces adolescents stupides que j’ai fréquentés au collège et au lycée que je suis un peu… dérouté.
Je vois bien que je lui plais, je ne suis pas idiot. Elle me l’a bien fait comprendre dès le début, et je crois que ça s’est renforcé. Mais c’est dur pour moi de me projeter, je suis un parfait novice, pour le coup…
Aujourd’hui, elle est là. Avec moi. Dans ma chambre. Quel meilleur moment pour lui parler de tout ça… ?
« Aya… Je… Je voulais te remercier pour avoir été là, ces derniers mois. Ils n’ont pas été faciles, mais je pense que ta présence a rendu le tout un peu plus supportable.
— Aurèle…
— Je suis désolé, je suis nul pour dire ce genre de choses, mais… je… tu… tu es spéciale, pour moi. Vraiment. »
Elle sourit. Je crois voir ses yeux s’humidifier. Je n’ai pas envie de la voir pleurer, mais je crois que ce n’est pas de la tristesse. Je prends sa main dans la mienne et la serre tendrement. J’essaye de transmettre ce que je ressens autrement que par les mots que je ne maîtrise pas très bien.
« Toi aussi, tu es spécial pour moi, Aurèle. Et être là pour toi fait partie des choses que j’estime naturelles, que je fais presque sans y penser. »
Je sens mes joues s’empourprer légèrement. Ma timidité ne me quittera donc jamais… ?
« Tu sais que t’es mignon, quand tu rougis ? me taquine-t-elle.
— Arrête un peu, c’est même pas vrai d’abord… »
C’est tout naturellement que ma main se glisse dans son dos, et que mes lèvres se posent sur les siennes. Je pense que je me suis trop pris la tête avec des détails. C’est si simple…
Nous nous embrassons pendant un long moment. Je ne vois pas le temps passer. Puis, nous finissons par nous détacher l’un de l’autre. Aya me regarde amoureusement, ce qui fait sursauter mon cœur, et elle me dit :
« Je devrais y aller… sinon je ne garantis pas d’arriver à rester sage… »
Je ris doucement. Je suis un peu soulagé, il faut le dire. Le sexe ne m’attire pas spécialement plus aujourd’hui. Mais peut-être que je ferais un effort pour elle.
Le lendemain, je suis tout joyeux lorsque je descends pour me préparer. Je croise Tetsu qui est en train de prendre son petit-déjeuner, je lui fais un coucou et vais soulager ma vessie. Alors que je me lave les mains, j’entends un bruit bizarre. Comme… quelqu’un qui tombe de sa chaise.
Je ne prends pas le temps de me sécher les mains et sors en vitesse de la salle de bain.
« Tetsu… ! »
« C’est rien, Aurèle. Il est l’heure, c’est tout. »
Je sais qu’il ne rêve que d’une chose : retrouver papa. Ce qui ne veut pas dire que je vais mieux gérer sa mort…
« Mais… Tetsu…
— Je suis content. Tu es un superbe jeune homme, et tu as maintenant une jeune femme fantastique dans ta vie. Je n’ai pas peur de te laisser, je sais que tu t’en sortiras à merveille. Je vous souhaite beaucoup de bonheur, à toi et Aya.
— Mais… Comment tu…
— Un père sait tout. »
Mon cœur se brise à sa dernière phrase. Je savais qu’il me considérait comme son fils, mais de l’entendre de sa bouche à ce moment-là, c’est… dur…
Adieu, Tetsu…
•
Pour l’instant, j’ai mis les deux tombes l’une à côté de l’autre. Mais je pense que je vais les mettre, plus tard, avec celles de mes grands-parents. Je ne sais pas où est enterrée la mère de Tetsu, mais je pense qu’il aurait aimé être près de papa, de toute façon.
J’ai rapidement mise la maison en vente. Si c’était le désir de Tetsu de rester là, le mien est bien différent. Aya m’aide beaucoup avec les formalités dont j’ai encore du mal à m’occuper, étant en plein deuil.
Je les ai perdu tous les deux en moins d’un an… et maman, dans tout ça ? Elle n’est plus toute jeune non plus. Il faut que je me prépare au pire, prochainement… J’essaie de me détendre comme je peux, mais c’est difficile. J’ai l’impression que tout est noir, en ce moment…
… sauf avec Aya. Heureusement qu’elle est là… C’est d’ailleurs elle qui a décroché les photos de mamie, papa et Tetsu dans la chambre. Je voulais les récupérer mais je n’arrivais pas à entrer dans leur chambre. Alors elle l’a fait pour moi.
Tout le reste des meubles restera dans la maison, je vends tout tel quel. Sauf ma fusée bien sûr, et mon jeu d’échec. Mais sinon je ne garde rien. Un vrai nouveau départ.
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