Kalpita est donc partie le soir même. Je l’ai vue embrasser Aurèle dans son petit lit, lui murmurant des paroles d’amour digne d’une mère triste, mais aimante.
« Au revoir mon poussin… N’oublie pas, maman t’aimera toujours, d’accord ? Même si elle est loin. »
Je n’ai pas bougé du seuil de la porte, j’ai observé Aurèle gigoter dans son sommeil en murmurant quelque chose comme « t’aime maman », puis Kalpita est passée devant moi, et elle est partie en m’embrassant une dernière fois sur la joue.
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Le lendemain soir, en rentrant du boulot, après avoir été chercher Aurèle à la garderie, je souffle mes bougies. Seul. Oui, c’est mon anniversaire. Quarante ans, déjà. Ça ne me rajeunit pas, tout ça…
Je m’attaque ensuite au rangement du salon, pour lui redonner son apparence d’avant. C’est plus dur tout seul, mais j’y parviens. Mon téléphone, posé sur la table, ne cesse de vibrer. Je sais que ce sont Raphaël et Gaëlle qui, alternativement, essaient de me contacter depuis ce matin. Mais je les ignore. Qu’ils veuillent me souhaiter mon anniversaire ou me parler de ce qu’il s’est passé hier, je n’ai pas envie d’en discuter.
Aurèle, lui, m’a déjà questionné sur l’absence de sa mère.
« Elle est où maman ?
— Elle est… rentré chez elle. Chez ses parents.
— Mais… Pourquoi ?
— Elle en a besoin. Mais ne t’inquiète pas, elle va revenir. Je ne sais pas quand, mais elle va revenir, je te le promets. »
Mais apparemment, ça ne lui a pas plu comme explication. Il boudait après ça, murmurant des « ‘veux maman » et « papa est méchant » en veux-tu en voilà.
J’ai peur qu’il ne s’habitue pas. D’autant plus que son anniversaire à lui aussi, approche à grands pas, et je suis presque sûr qu’elle ne sera pas rentrée. Je pense qu’il peut très mal le prendre, comme comprendre et faire avec… je n’ai pas hâte, pour tout avouer.
Je suis allé le coucher une fois son repas terminé, puisqu’il commence à faire des caprices pour rien. Je lui ai lu une histoire, pour lui changer les idées, en espérant qu’il ne fasse pas de cauchemar sur sa mère…
Pour l’instant, il remarque juste son absence, mais bientôt, il en souffrira, et je ne sais pas du tout comment le soulager de cette douleur à venir… Courage, mon petit Aurèle.
Toc, toc.
Ah. S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est de la visite à cette heure-ci… Au moins, la personne a eu la présence d’esprit de ne pas sonner. Aurèle s’endort tout juste.
Je me lève de son petit lit et sort de la chambre, en prenant bien soin d’éteindre la lumière derrière moi.
J’ouvre la porte d’entrée et me retrouve nez-à-nez avec Tetsu. Si je n’étais pas aussi amoureux, je l’aurais trouvé collant, je crois.
« Tetsu…
— Pardon, je… je dois être la dernière personne que tu as envie de voir, mais…
— Non, viens, entre. »
Nous nous sommes dirigés vers le salon, et nous sommes assis sur le canapé. J’avais envie de le revoir, forcément, mais je ne savais pas comment. Après tout, je l’ai repoussé une nouvelle fois lorsqu’il est venu me voir la semaine dernière, je m’imaginais mal revenir vers lui en disant « je sais que je t’ai dis qu’on se reverrait plus, mais ma femme m’a largué, tu veux bien de moi du coup ? ». Ça sonne tellement… opportuniste. Bon, je le suis un peu, mais quand même…
On échange des banalités, en commençant par lui qui me souhaite mon anniversaire, et je ne peux m’empêcher de sourire, comme lui. On sait tous les deux, apparemment, que les choses sont différentes, maintenant. Et dans le bon sens du terme cette fois-ci.
« Qu’est-ce qui t’amène ici, à 21h ? lui demandé-je, sans animosité aucune.
— Oh, euh… »
Il redevient gêné. J’ai dis quelque chose qui ne fallait pas ?
« Désolé… Tu vas trouver ça gonflé de ma part, mais… après ce que j’ai lu dans le journal…
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a eu, dans le journal ? »
Mon Dieu, Gabriel, t’es le chef de ce pays, t’as vraiment l’air d’un abruti, là…
« Ah, tu… tu n’as pas vu ? Hm… Des… Des paparazzis ont pris des photos de ta compagne partant de la maison la nuit dernière avec deux grosses valises… Les médias s’en sont donnés à cœur-joie. »
Eh merde… Quelle belle bande de vautours, ceux-là… En quoi ça les regarde ?! Je devrais peut-être accepter le logement de fonction qu’on me propose, au moins, il y a une clôture…
« Oh.
— Que… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Je soupire, et décide de tout lui raconter. Dans les moindres détails. Donc ça veut dire aussi mes rêves, mes sentiments, et tout le toutim. Plus j’avance dans mon récit, plus ses joues s’empourprent, et son sourire revient. Je ne peux m’empêcher de le trouver… adorable.
« Donc voilà. Elle est retournée à contrecœur chez ses parents, en Inde, pour se couper totalement de la vie qu’on avait. C’est un peu drastique, mais comme je suis le dirigeant du pays, maintenant, c’était compliqué pour elle de faire autrement. Et comme ça elle n’a pas la pression médiatique en plus. »
Tetsu hoche la tête, semblant désolé. Mais je me demande si ce n’est pas juste une expression de façade. Je pense qu’il est bien content que je sois à nouveau libre… Enfin, libre… Peut-être pas tant que ça. Je plonge mon regard un instant dans ses yeux noirs avant de prendre la parole.
« Tu sais… J’ai vraiment envie qu’on se donne à nouveau une chance, tous les deux. Je viens de rompre une promesse d’engagement à une femme extraordinaire parce que je ne l’aimais pas autant que je t’aime toi. Mais… C’est plus compliqué que ça. Aurèle est suffisamment chamboulé par le départ de sa mère, ou en tout cas, il le sera bientôt, donc je ne sais pas si ça serait une bonne idée pour lui de voir son père roucouler avec un total inconnu…
— Tu penses qu’on va "roucouler" ? »
Je ris, lui aussi, puis nous reprenons notre sérieux.
« Je comprends. J’ai pensé à ça aussi…, me répond-il. »
Je réfléchis un instant.
« Après, je peux te présenter comme étant un de mes amis. Il ne trouvera pas ça bizarre. Et c’est un enfant, pour qu’il comprenne la différence, il faudra quelques temps encore.
— D’accord, mais… et les médias ?
— Les médias… Un gros problème, ceux-là… Déjà, je pense que je vais donner une conférence de presse pour mettre les choses au clair. Ça devrait les calmer. Et puis… »
Mes yeux se posent sur la cheminée sans la voir.
« Il faudra que tu fasses attention quand tu viens ici. Mais je pense qu’on peut s’en sortir, jusqu’à ce qu’Aurèle s’habitue à toi. Et après… on avisera. »
Je le regarde et lui souris.
Et si les médias l’apprenne, eh bah… On fera avec. Tant pis. Il est hors de question que je passe une nouvelle fois à côté de mon bonheur.
• BONUS •
Le petit Sam a poussé...
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