La semaine nous séparant du mariage est passée à une vitesse folle. J’ai eu soudainement beaucoup de choses à gérer au travail, alors que, je le rappelle, je n’ai pas encore pris mes fonctions de Leader National, et avec les préparatifs de la cérémonie, aussi sobre soit-elle, je n’avais plus le temps pour rien d’autre. Kalpita s’est à nouveau retrouvée à s’occuper seule d’Aurèle, et je pense qu’elle l’a assez mal pris. En tout cas, elle avait toujours un air triste à chaque fois que je la croisais.
Le matin de la cérémonie, mon cœur a commencé à se serrer. Toute la semaine, j’ai fais des rêves, où ce n’était pas Kalpita que j’épousais, mais Tetsu. Et cette nuit n’a pas fait exception.
Il a mis le bordel dans ma vie en revenant, ça, c’est certain… Enfin… Non… Dans mes sentiments… Je pensais qu’ils avaient disparus, mais apparemment, ils étaient juste cachés honteusement sous le tapis de mon inconscient. Qu’est-ce qui m’a pris de l’embrasser ?! Maintenant, dès que je ferme les yeux, j’ai l’impression de sentir son corps chaud contre le mien, sa bouche contre la mienne, sa langue entre mes lèvres… et je suis censé épouser quelqu’un d’autre dans quelques heures… Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?!
Kalpita ne semble pas plus réjouie que cela non plus. Je pensais qu’elle serait quand même contente, même si elle m’en veut un peu, mais j’ai cru voir ce matin dans son regard une étincelle d’amertume… Pourquoi… ?
On s’est tout de même coordonnés ensuite pour bouger la table à manger et le buffet qui était sous la fenêtre, installer l’arche et les chaises. On a également mis le tapis qui était sous la table au milieu, pour faire comme un tapis rouge… Je suis assez content du résultat. Enfin, j’aurais été content si je n’avais pas eu cette sensation d’écœurement continue…
Heureusement qu’on avait prévu un mariage en intérieur, parce que vu le temps qu’il fait, on aurait été bien embêté autrement…
Alors que l’heure approche, le temps ne s’arrange pas. On dirait presque qu’il est à l’image de mon état d’esprit, et ça me fait presque sourire.
Gaëlle, Raphaël et Mariko finissent par arriver, ce qui veut dire que la cérémonie devrait pouvoir commencer…
Kalpita retrouve un semblant de sourire et joue l’hôte parfaite pour que personne ne se rende compte de l’atmosphère tendue.
J’aurais dû la trouver superbe dans sa robe de mariée, mais… je ne sais pas. J’ai… l’esprit trop embrouillé…
Puis, on se dirige vers l’arche. Je souris pour faire bonne figure, elle aussi, mais je sais qu’aucun de nous deux n’est à l’aise. Kal’ doit sentir que je ne me sens pas bien, forcément.
Sauf qu’au moment d’échanger les anneaux, je craque…
« Je… Je suis désolé, Kalpita… Mais… Je peux pas… »
Je vois son visage s’attrister atrocement.
Puis, cette tristesse laisse place à une émotion plus contenue, à ma grande surprise.
« Je me demandais si tu allais vraiment renoncer, ou si tu allais te forcer jusqu'au bout.
— Pardon ?
— Je vous ai vu, l’autre soir, toi et ce jeune homme. Je sais qui il est. Je sais aussi que jamais tu ne m'as regardée comme tu l'as regardé lui… Avec autant de fièvre, de désir et d’amour.
— Kal...
— Dans un sens, je suis contente que tu renonces. Je n'ai pas envie de me retrouver avec un mari morose parce qu'il pense à ce qu'il n'a pas eu avec l'homme de sa vie. »
J’ai le souffle coupé. Elle nous a vus… ? Tetsu et moi ? Mais… Elle n’a rien dit !
« Tu… Tu étais prête à te contenter d’être… un second choix… ?
— Je t’aime, Gabriel, même si ce n’est pas réciproque. Je pense que j’aurai fait beaucoup de choses pour toi.
— Je…
— Et nous avons un fils. Au moins, je t’épousais pour lui. Mais il semblerait que ton premier amour sera aussi ton dernier. »
Mon cœur se serre. Je sais qu’elle a raison. Je n’ai finalement jamais réussi à tomber amoureux de quelqu’un d’autre que Tetsu… Quel idiot je suis…
Je suis soudainement très conscient du silence qui règne dans la pièce. Nos trois invités nous regardent, sans rien dire, et Aurèle semble ne pas comprendre ce qui se passe. Kalpita s’avance et le prend dans ses bras. Même s’il ne comprend pas, il semble savoir qu’il se passe quelque chose de pas très agréable, si la moue qu’il fait est un indice.
« Nous… Nous allons rentrer, intervient Raphaël. On va… vous laisser discuter.
— D’accord… »
Et très vite, nous nous retrouvons à nouveau tous les trois.
Kalpita dépose Aurèle sur le sol près du canapé, et il monte dessus pour pouvoir manger un bol de soupe qu’elle lui donne.
Puis, elle se tourne vers moi.
« Je vais rentrer en Inde. Mes parents y sont retournés pour leur retraite.
— Quoi ?! Mais… Et Aurèle ?
— J’aimerai l’emmener, mais il est encore petit. J’ai peur que plusieurs gros changements ne le perturbent trop.
— Mais… Il a besoin de sa mère…
— Et de son père aussi. Mais ne t’inquiète pas, je ne vais pas rester longtemps là-bas. Je vais revenir. J’ai juste besoin de… prendre du recul. D’encaisser. »
Le sourire qu’elle affiche me paraît si faux, mais je ne dis rien. Je n’imagine même pas le sacrifice qu’elle doit faire en se disant qu’elle va me laisser notre enfant pour une durée indéterminée… Je me sens si stupide.
« Eh, Gabriel, c’est moi qui devrait pleurer. Sèche-moi ça. »
Je ne m’en étais même pas rendu compte. J’essuie mes larmes avec la manche de mon costume.
« Je pars demain. Ce soir, je dors à l’hôtel. Je te fais confiance pour lui expliquer pourquoi il ne verra plus sa maman.
— Oui, je te le promets… »
Elle prend le temps de jouer une dernière fois avec lui.
Mais son sourire, au lieu de me rassurer, me fend le cœur. Je suis un monstre.
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