Kalpita m’en veut toujours, apparemment. Elle ne m’a pas adressé la parole depuis notre dispute. Enfin, en même temps, je ne l’ai pas beaucoup vue… Comme j’essaie de lui faire comprendre, j’ai été très occupé, et le jour des élections arrivent enfin. Toutes les chaînes en parlent, d’après ce que j’ai pu constater avant d’aller au bureau pour retrouver mon directeur de campagne.
Malgré mon jeune âge que tout le monde s’amuse à me rappeler, je suis pressenti favoris des citoyens. Je suis plus proche d’eux, j’ai grandi dans une famille certes aisée mais pas déconnectée de la réalité. Ça change, ça leur plaît. Ma mère avait également une très bonne réputation, alors forcément, ça rajoute encore des points positifs… Mais malgré tout, je suis extrêmement nerveux. Mon avenir se joue aujourd’hui.
Contre toute attente, Kalpita vient s’asseoir à côté de moi. Elle ne dit rien, et regarde la télévision.
« Kal’, tu… Hm… Tu iras voter, aujourd’hui, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Merci…
— Je n’ai jamais dis que j’allais voter pour toi.
— Hein ? Mais tu… »
Et soudain, elle éclate de rire.
« Tu devrais voir ta tête ! »
Je suis à la fois surpris et soulagé. Elle ne semble pas m’en vouloir autant que ce que je pensais.
« J’te fais marcher. Allez, file, va devenir le prochain Président de la République.
— Leader national, chérie… »
Et c’est sur cette étonnante évolution que je suis parti de la maison.
•
Vous savez, lorsqu’on se présente à une élection, nous avons pour obligation de rédiger deux discours. L’un, si l’on perd, et l’autre, si l’on gagne. Il faut les connaître tous les deux, de préférence par cœur, afin d’être prêt, peu importe l’issue. Mais vous savez quoi ? Je n’aurais pas à utiliser celui des perdants, aujourd’hui…
Et oui, vous avez devant vous le nouveau Leader National !
Mais à peine ai-je pu me réjouir de cette nouvelle que mon directeur de campagne me pousse sur l’estrade de l’esplanade pour que je fasse mon discours devant des milliers de gens et des centaines de journalistes, flanqués de caméra. Ce n’est pas la première fois que je fais ça, mais bonjour la pression… !
« Chers concitoyens, bonsoir. Tout d’abord et avant toute autre chose, je tiens à vous remercier de la confiance que vous placez en moi. Certaines personnes ont longtemps dit que j’étais bien trop jeune pour ce poste, et vous venez de prouver que l’âge n’a rien à faire dans l’acquisition de la confiance de toute une nation. Merci. »
Applaudissements.
« Mais sans plus attendre, je vais vous brosser dans les grandes lignes le gouvernement que j’ai prévu. Après tout, c’est pour ça que je suis là, non ? »
Rire dans le public. Je suis dans mon élément… comme jamais !
Je continue mon discours pendant une bonne demi-heure, puis viennent les questions des journalistes, auxquelles je réponds comme je peux. En voyant leurs exigences, je me rends compte que je n’ai pas fini de travailler pour les satisfaire… J’ai une pensée pour Aurèle et Kalpita à ce moment-là. Comment vais-je faire… ?
•
Les jours qui ont suivi ont été relativement calmes, en fait. Ma prise de poste n’est pas pour tout de suite, alors je profite de chaque instant pour être proche de mon fils.
On a également reparlé du mariage avec Kalpita.
« Je sais que j’ai été assez nul au niveau familial ces derniers temps, mais… si tu veux toujours de moi, on peut organiser le mariage qu’on avait prévu. »
Elle m’a fait un sourire et a hoché la tête. C’est peut-être juste une impression, mais elle a l’air moins enthousiaste qu’avant, quand même…
On a quand même décidé de faire ça le week-end prochain, en petit comité, un truc pas très extravagant, et de préférence, sans presse. Mais ça, je sais pas si on y arrivera…
Un peu plus tard dans la journée, j’ai reçu un appel de Raphaël m’invitant chez lui.
« Ça fait trop longtemps ! me dit-il.
— Haha, oui, c’est vrai. Je vais venir, mais sans Kalpita et Aurèle, elle avait prévu de l’emmener au parc cet après-midi.
— D’accord, bon je les verrais bien une prochaine fois ! »
A peine arrivé, en début d’après-midi, Raphaël me prend à part.
« Avant toute chose, il y a quelqu’un que j’aimerai que tu rencontres…
— Oooh, serait-ce mon petit neveu ou ma petite nièce ? »
Raphaël sourit sans répondre, mais je sais que c’est ça. Il m’invite dans la maison, et nous nous dirigeons vers une des portes.
« Voilà, je te présente ton neveu, Sam.
— Bonjour toi ! Ooh, comme il est mignon… Il te ressemble, non ?
— J’espère bien ! »
« C’est bientôt l’heure de sa sieste, alors on va le laisser tranquille, mais voilà, tu le connais, maintenant. Je suis désolé de ne pas t’avoir prévenu après l’accouchement, mais je savais que tu avais bien d’autres choses en tête, avec les élections et tout… D’ailleurs, félicitations !
— Merci frangin. Et ne t’inquiète pas, je ne t’en veux pas. Il est beaucoup trop mignon pour ça, de toute façon… ! »
Nous sommes sortis et je l’ai enlacé. Mon petit frère, papa… Ça fait tout bizarre !
Nous avons passé l’après-midi ensemble, à parler du bon vieux temps, comme le fait que ça lui fait très plaisir d’avoir réussi à emménager dans l’ancienne maison de tatie Vic’, et à partager des nouvelles, comme mon futur mariage auquel toute sa petite famille est conviée, bien sûr.
Je suis rentré en début de soirée. En me garant devant la maison, j’ai eu la surprise de découvrir que quelqu’un m’attendait. Quelqu’un que je n’avais pas vu depuis presque vingt-cinq ans…
Je suis sorti précipitamment de la voiture et ai claqué la porte derrière moi.
« Tetsu… ? Qu’est-ce que tu fais là ?
— Oh, Gabriel, tu es là… Personne ne répondait, alors… »
Kalpita n’est pas rentrée ? J’ai eu de la chance…
« Ça ne répond pas à ma question… Qu’est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu ne vivais plus à Oasis Springs. … Depuis longtemps.
— Je sais, je… je suis revenu m’installer ici il y a peu. Oasis Springs me manquait. Tu me manquais… »
Je sens la colère monter en moi, comme ce fameux jour, il y a tant d’années.
« T’es sérieux ? Tu crois que tu peux revenir et me faire les yeux doux comme ça ? Après autant de temps ?! Qu’est-ce que tu espères, exactement ?! »
« R-Rien, je…
— Je vais me marier, Tetsu ! Avec la mère de mon fils ! Je suis père ! Et heureux !
— Je… Je ne savais pas… Je…
— Non, bien sûr, et tu penses que ça te donne le droit de débarquer à nouveau dans ma vie, comme ça ? Tu m’as détruit, ce jour-là, tu le sais… ? »
« Je sais, je veux juste réparer mes erreurs… Je ne te demande pas de me reprendre, juste de m’écouter. »
Je soupire, mais me tais, et le laisse parler. Je suis essoufflé d’avoir tant crié. Mais ça fait du bien, comme si je me retenais depuis toutes ces années.
« Je t'aime, Gabriel, ça n'a pas changé. Je regretterai toute ma vie la façon dont se sont passées les choses. Je sais que je t'ai fais souffrir, et je m'en veux terriblement pour ça. Mais... J'ai besoin de ta présence dans ma vie. Ça fait bien trop longtemps, et tous les jours je pense aux bons moments qu'on a vécus ensemble. Si tu me le permets, j'aimerai qu'on puisse redevenir amis. Je ne me mettrais pas en travers de ton couple, je te le promets. Mais je – »
Je ne le laisse pas terminer sa phrase. Comme une force qui m’attire vers lui, je l’attrape par la taille et plaque mes lèvres aux siennes, une de mes mains se frayant un passage dans ses cheveux noirs toujours aussi indomptables. Son odeur envahit soudain mes sens, et je sens mon cœur battre furieusement contre ma cage thoracique alors qu’il me rend mon baiser avec autant de fougue que celle que je m’applique à transmettre. Il m’a tellement manqué…
Mais bientôt, je me sépare de lui, à regret. Plus rien n’est pareil, à présent. Nous ne sommes plus des adolescents. Les conséquences de nos actions peuvent être importantes.
« Je suis désolé, Tetsu. Je ne peux pas. Je suis incapable de te voir comme un ami, et ce depuis bien longtemps. Et il est hors de question que je détruise la famille que j'ai réussi à fonder pour un amour de jeunesse. Considère ce baiser comme le dernier. Adieu. »
Je décide d’ignorer son regard meurtri, et je tourne les talons, me dirigeant vers la porte d’entrée, et disparaissant derrière cette dernière. Les larmes me piquent les yeux, mais c’est la meilleure solution, et surtout, la seule…
•
Mais ce que Gabriel ignore, c’est que les choses ne se passent pas toujours comme prévu, et pas seulement en politique.
Comments