J’ai honte de le dire, mais la culpabilité ne m’a pas empêchée de revoir Tray. Des fois innocemment, des fois beaucoup moins. Leslie ne se doute de rien, mais je crois que ce n’est de toute façon pas en le lui faisant comprendre que l’univers a décidé de me punir de mon infidélité…
Mes règles ne sont toujours pas là alors qu’elles auraient dû l’être, et ce matin j’ai de grosses nausées.
Ok, respire Kelita… Je fouille dans le placard sous le lavabo et trouve quelques tests de grossesse que j’avais achetés en prévision d’une éventualité comme celle-ci. Sauf qu’à l’époque, je ne pensais pas que j’aurais eu un doute sur l’identité du père…
L’attente est insupportable. Je tiens le test entre mes mains après l’avoir fait alors que je suis toujours assise sur les toilettes, et m’oblige à prendre de longues respirations pour me calmer.
Au bout de quelques minutes, j’ose un regard vers le test. Et le lâche sous le choc.
Je suis enceinte.
Je baisse la tête et sens mes yeux piquer. C’est une bonne nouvelle, non ? J’en veux, des enfants. Et malgré tout, il y a largement plus de chances que ça soit celui de Leslie. On se protège toujours avec Tray, alors que l’utilisation des préservatifs avec Leslie est devenue très… sporadique.
Je secoue la tête avant me lever, de tirer la chasse et de jeter le test. Alors que je me lave les mains, je prends une résolution : ça ne sert à rien de m’angoisser en imaginant des scénarios catastrophes. Ce bébé est celui de Leslie, point.
•
Je ne peux pas attendre. Dès qu’il rentre du travail, je l’embrasse et lui dit que j’ai une annonce à lui faire.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Rien de grave j’espère ?
— Non, non, pas du tout… En fait, je… j’ai du retard dans mes règles, et… j’ai fais un test de grossesse ce matin. »
Ses yeux s’élargissent et il m’attrape les mains.
« Et donc ?!
— Il faudra que je fasse confirmer ça par une prise de sang mais… apparemment, je suis enceinte. »
Je vois ses yeux s’embuer quand il réalise alors qu’un grand sourire étire ses lèvres.
« Oh, mon amour ! s’exclame-t-il avant de me prendre dans ses bras et de me serrer fort contre lui. »
Ça me fait plaisir de le voir si heureux. Je lui rends son étreinte comme je peux, tout en ignorant le doute qui persiste dans un coin de mon cerveau. J’avais hâte de fonder une famille avec lui, et c’est toujours vrai, peu importe les circonstances autour de la conception de cet enfant.
Il faut simplement que je me décide à tout arrêter avec Tray…
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Comme on ne se voit pas non plus très souvent pour éviter la suspicion de nos partenaires respectifs, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que je voulais lui dire.
Je toque à la porte de son appartement un jour où je sais que Rose est absente, et son regard en dit long lorsqu’il l’ouvre et me voit, moi et mon ventre qui commence à s’arrondir.
« K-Kelita… ?
— Je peux entrer ? »
Il s’écarte et me laisse passer avant de fermer derrière moi. Je me tourne et le regarde sérieusement.
« Je… Je t’avais dis que c’était une possibilité… et maintenant voilà, annoncé-je en touchant mon ventre. »
Il l’observe un instant et déglutit.
« Tu es sûre qu’il n’est pas de m–
— Non. »
Apparemment c’est la douche froide, puisqu’il s’appuie ensuite au mur.
« Il faut que je m’assois… »
Je lui attrape la main et l’aide à s’asseoir sur le canapé dans l’entrée, et m’installe près de lui.
« Je ne peux pas être sûre à 100% que c’est celui de Leslie à moins de faire un test de paternité, mais on a été extrêmement prudents toi et moi, alors qu’avec Leslie pas du tout… Ça serait vraiment un manque de bol monstrueux. »
Il reste silencieux un instant, perdu dans ses pensées, puis hoche la tête.
« C’est vrai. Et en plus, j’ai toujours autant de mal à concevoir avec Rose, alors… si ça se trouve, j’ai même un souci de fertilité. »
Ou alors c’est elle. Ou le stress qui joue. Mais je ne dis rien. Je me contente de lui serrer gentiment la main pour essayer de le rassurer.
« Dans tous les cas, enchainé-je, je pense que… il va falloir… arrêter tout ça…
— Keli…
— Je vais devenir maman, Tray. Même si on ne décide de rien, on n’aura bientôt plus du tout le temps de se voir…
— On pourrait quand même essayer. »
Je secoue la tête. Il ne se rend pas compte je crois.
« C’est ce que tu veux ? Tout risquer pour qu’on se voie une fois tous les trente-six du mois ?
— Mais bon sang Keli, je serais content même si je te voyais qu’une fois tous les dix ans ! »
Je le regarde, interloquée. Il prend une grande inspiration et s’excuse d’avoir élevé la voix.
« Le fait est que… je n’ai jamais cessé de t’aimer. Je m’en fiche de combien de fois, je veux juste… continuer à te voir. »
… Il a pas le droit de dire ça comme ça… C’est déloyal… Mais le fait est que ça suffit pour me faire craquer, et je lui murmure « moi aussi je t’aime » avant de me placer sur ses genoux et de l’embrasser.
Je ne pensais pas que ça serait si difficile. Est-ce que c’est possible d’aimer deux personnes à la folie comme ça ? Parce que je crois que c’est mon cas.
Et c’est pas exactement un constat réjouissant…
•
Nous continuons donc de nous voir, et… c’est vraiment sans dessus-dessous dans ma tête. J’ai besoin de me confier à quelqu’un, mais qui ? Haki aurait été tout en haut de ma liste si elle n’avait pas été si proche de Leslie… Ils sont devenus très amis après tout le fiasco avec Tray. Je peux difficilement lui parler de ça…
La deuxième personne qui me vient en tête, c’est Nilo. Il est rarement dans le coin, mais on ne sait jamais… Je décide donc de l’appeler en fin de matinée un jour, voir s’il aimerait bien tenir compagnie à sa grande sœur préférée qui est déjà bien avancée dans son deuxième trimestre.
Victoire, il est dispo ! Il arrive vite, semblant comprendre que j’ai besoin de parler. Je l’emmène vers le salon, mais dans le couloir je m’arrête net puisque je sens mon bébé donner un coup de pied bien placé… Aouch, sacripant !
« Qu’est-ce qu’il y a ? me demande Nilo, inquiet.
— C’est rien, juste le bébé qui fait des siennes… Tu veux toucher ? Tu devrais le sentir bouger.
— Oooh oui je veux bien ! »
Timidement, il pose ses mains sur mon ventre.
« Salut toi… Je suis ton tonton. Je vais t’apprendre plein de bêtises quand tu vas naître, tu verras !
— Oh non, s’il-te-plaît… Tu veux que je meurs à force de lui courir après, c’est ça ? »
Nilo se redresse alors qu’il éclate de rire.
« C’est une blague sœurette ! Détends-toi ! »
Je lui donne une tape derrière la tête avant de reprendre ma marche vers le salon et de me vautrer sur le canapé. Non, il n’y a pas d’autre mot… Il me suit et commente la salle de jeu qu’on a commencé à mettre en place d’un sifflement, et se laisse tomber à son tour sur le sofa.
« Bon alors, qu’est-ce qui te tracasse ? T’avais pas l’air jouasse au tel tout à l’heure ! »
Je prends une grande inspiration, et avoue :
« J’ai peur que ce bébé ne soit pas celui de Leslie. »
Pendant quelques secondes, Nilo m’observe sans réagir, puis…
« Attends… Quoi ?! Pourquoi ça serait pas le sien ? Qu’est-ce que t’as fais ? »
Je baisse les yeux.
« … Avec qui tu l’as trompé, Keli ? insiste-t-il en perdant son air surpris pour le remplacer par un air suspicieux.
— … Tray. »
Son expression ne change pas. Comme s’il s’attendait absolument à ce que ce soit le nom que je prononce.
« Dis quelque chose…, le supplié-je. »
Il soupire.
« T’as jamais pu l’oublier, ça je le savais déjà.
— Ah… ?
— Ouais. Quand tu t’es jetée dans les bras de Leslie j’ai pas trop compris. Je trouvais que t’allais trop vite, sauf que c’était pas mes oignons alors j’ai rien dis. Mais du coup, j’ai absolument aucun problème à imaginer que tu sois retombée dans les bras de Tray si tu l’as recroisé.
— C’est un peu plus compliqué que ça… »
J’entreprends alors de lui conter les huit derniers mois, et à part quelques « hm » et hochements de tête par-ci par-là, il ne m’interrompt pas. Puis, quand j’ai terminé de relater tout ce qu’il s’est passé, il se gratte l’arrière de la tête.
« Tu t’es vraiment fourrée dans un plan tout pourri…
— Sûrement, mais… Je les aime tous les deux, c’est un fait.
— Et ça existe hein, les relations de plus de deux personnes. Mais en général, elles sont toutes au courant de ce qu’il se passe, pas juste deux sur quatre, et surtout, elles sont d’accord. »
Je me prends la tête entre les mains et agrippe les mèches de devant à m’en faire mal.
« Désolé, c’était un peu dur… J’imagine bien que ça doit pas être facile de décider quoi faire.
— Non…, réponds-je alors que mes larmes se mettent à couler. Perdre l’un ou l’autre me semble… insupportable. »
J’éclate finalement en sanglots, alors Nilo me prend contre lui et me berce doucement. Il me dépose un baiser sur le front puis pose sa joue au même endroit. On ne dirait pas que c’est moi la grande sœur là… J’ai vraiment l’impression d’avoir le cœur déchiré en deux… mais je sens que pleurer me fait du bien. Je n’ai pas pleuré une seule fois à cause de la situation, alors que j’aurais peut-être dû…
Nilo finit par me proposer de mettre un film pour me faire penser à autre chose, ce que j’accepte. Il choisit évidemment un film d’horreur, mais au moins on ne peut pas faire plus éloigné de ma situation actuelle.
« Il est quand même pas terrible ce film…, commenté-je après une heure de visionnage.
— Roh mais tu vas arrêter de te plaindre oui ? me charrie-t-il. Enfin, j’avoue qu’il est sacrément nul… »
On finit par rigoler du scénario très bancal, et à la fin du film j’ai complètement séché mes larmes.
« Bon allez, je vais retourner chez les darons, pas envie que papa me casse les pieds pour savoir où j’étais.
— Il le fait toujours alors que tu habites plus chez eux ?
— Ouais, je sais pas pourquoi. Il apprend pas de ses erreurs j’ai l’impression… »
Il me serre dans ses bras et je le raccompagne jusqu’à la porte. J’ai bien fais de m’ouvrir à Nilo. Ça m’a fait du bien de me confier à mon petit frère. Même si ça ne m’aide pas particulièrement à trouver une solution, au moins il a confirmé que la situation était loin d’être facile… J’aurais simplement dû ne jamais revoir Tray. Mais maintenant, c’est trop tard.
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