Il faut vraiment que j’achète une voiture. Ingrid n’habite pas si loin pourtant, mais suffisamment pour que ça me prenne quarante-cinq bonnes minutes pour arriver jusque chez elle, alors que je me suis dépêchée. J’entre dans le jardin devant la maison et observe les fenêtres. Elles sont quasiment toutes sombres ; seule celle d’Ingrid luit faiblement, indiquant qu’elle ne dort pas. Tu m’étonnes… en plus, elle doit se demander où sont les deux zozos que j’ai laissés chez moi.
Je prends mon téléphone et lui envoie un sms, indiquant que je suis devant sa porte d’entrée. Quelques minutes plus tard, celle-ci s’ouvre, découvrant Ingrid, l’air dévasté.
« Yûya… »
Et elle se jette dans mes bras. Je la serre contre moi alors que je l’entends se mettre à sangloter. Comment peut-on faire autant de mal à son enfant ? C’est tout simplement inadmissible.
Je ne dis rien, je me contente de la garder contre moi pendant de longues minutes. Puis, elle finit par se détacher de moi, et s’excuse d’avoir, je cite, ‘ruiner mon pull’. Je ris.
« Tu n’as rien fait de tel, réponds-je en lui essuyant ses larmes la joue. »
Mon sourire se fane en la voyant détourner le regard.
« Tu n’es pas obligée de me raconter. Mais je suis venue te ramener avec moi.
— Yûya, je… comment tu…
— Je t’expliquerais tout. Jacob et Yoa sont chez moi. Tu as besoin de temps pour préparer tes affaires ? »
Elle secoue la tête.
« Elle m’a dit qu’elle voulait que je ne sois plus là demain matin, donc je les ai déjà faites, me répond-elle, sa voie se brisant sur la fin de sa phrase alors qu’elle se remet à pleurer, se prenant la tête dans les mains. »
Je ne sais sincèrement pas quoi répondre. Comment est-ce que je peux la réconforter ? Ça me semble impossible. Alors pour l’instant, je l’enlace à nouveau, et l’accompagne dans sa chambre pour récupérer ses affaires, et lui dit :
« On reviendra demain, je louerai une voiture et on ira récupérer tout ce qu’on peut. Enfin, j’irai seule, probablement, je ne te forcerai pas à revenir ici. »
Elle me fait un sourire triste et me remercie. On prend juste sa valise et un sac à dos pour l’instant, puis quittons la maison pour aller chez moi. Enfin, chez nous, maintenant, je pense.
•
Lorsqu’on arrive, Jacob et Yoa sont probablement couchés puisque tout est éteint.
« Désolée, on va devoir se contenter d’un matelas gonflable cette nuit, les gars occupent mon lit.
— Ils… Tout va bien ?
— Maintenant oui, mais ils ont besoin de se reposer. On t’expliquera demain, ne t’inquiète pas. »
Jacob n’avait probablement pas prévu de tout avouer à Ingrid aussi, mais elle va vraiment avoir l’impression qu’on lui cache quelque chose si on ne dit rien, et c’est la dernière chose que je souhaite, compte tenu de ce qu’il s’est passé ce soir. Et comme je savais qu’elle s’était disputé violemment avec sa mère, et que Yoa et Jacob ne sont pas venus alors que c’était prévu, elle se pose sûrement déjà des questions. Je pourrais mentir, mais je n’en ai pas la moindre envie. Aucun mensonge ne sera vraiment convaincant, de toute façon.
Je monte au grenier pour aller chercher le matelas, et pendant ce temps Ingrid déplace le fauteuil du salon jusque dans la cuisine pour libérer la place.
Cette maison n’est vraiment pas très grande. Pour moi toute seule ça va, mais si on vit ensemble à partir de maintenant, peut-être que ça vaudra le coup de chercher autre chose. Papa, ton argent me sera peut-être utile, finalement…
Je prépare le matelas pendant qu’Ingrid va se brosser les dents et se changer. Je ne sais pas si elle réussira à dormir ce soir mais j’espère qu’être ici l’aidera un minimum.
Lorsque je sors de la salle de bain à mon tour, elle est allongée sur les couvertures, sur le côté, et je remarque qu’elle pleure à nouveau. Je sens un pincement dans la poitrine. Sa mère va m’entendre demain, ça, c’est clair.
Je m’approche du lit et me couche à ses côtés avant de la prendre dans mes bras sans rien dire. Nous restons comme ça un moment, puis je sens sa respiration se calmer, m’indiquant qu’elle s’est endormie.
Je lui embrasse le front et ferme les yeux à mon tour. On va s’en sortir, je suis sûre.
•
Le lendemain, je me lève avant tout le monde pour aller acheter des vêtements et chaussures basiques pour Yoa et Jacob, et leur laisse dans la chambre discrètement. Plus qu’à attendre qu’ils se lèvent maintenant.
Je fais ma petite vaisselle d’hier en attendant, et prépare ensuite un petit-déjeuner pour tout le monde.
Ils auront sûrement tous faim.
Bon, je ne suis pas très douée en cuisine, mais au moins ça sera mangeable.
J’entends soudainement la douche s’allumer. Tiens, quelqu’un est levé. Je laisse cuire quelques instants le toast dans la poêle et ouvre la porte du salon : Ingrid dort toujours. C’est donc un des gars (ou les deux, les connaissant). Je retourne à ma cuisine rudimentaire en attendant.
Effectivement, quelques instants plus tard, Yoa et Jacob entrent dans la cuisine, fraichement douchés et vêtus des vêtements que je leur ai achetés.
« Merci pour les fringues, Yûya, me dit Jacob en me pressant gentiment l’épaule.
— De rien. Vous avez faim ? »
Je hausse un sourcil particulièrement en direction de mon jumeau, qui a probablement brûler un gros nombre de calories hier. Il écarquille les yeux et détourne le regard en rougissant avant de hocher la tête, me faisant rire.
Je sors la poêle du feu et me dirige vers un plan de travail pour prendre un plat et mettre les œufs et les toasts que je viens de cuir dessus.
« C’est pas de la grande cuisine, mais ça devrait vous sustenter, les loulou(p)s. »
Yoa grogne en entendant le surnom alors que Jacob s’esclaffe.
« Maintenant qu’elle sait, elle ne va pas te lâcher je crois, se moque-t-il gentiment. »
Ça, c’est clair !
Je prends le plat et le pose sur la table, avant d’enlever mon PC portable pour aller le mettre dans la chambre. Je remarque alors que notre lit de fortune est vide, et que la porte de la salle de bain est fermée, de la lumière s’échappant de l’espace entre le sol et la porte. Ingrid est levée.
Le temps que j’aille dans la chambre poser l’ordinateur sur mon lit, elle est sortie de la salle de bain et est revenue dans le salon où nous avons dormi. Elle n’a vraiment pas l’air bien.
« Ingrid… Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire pour toi ? N’hésite surtout pas. »
Elle renifle, les yeux humides, mais ne pleure pas. Pour l’instant, en tout cas.
« Tu fais déjà beaucoup Yûya, merci…, me répond-elle avant de se lover dans mes bras. »
Je ne peux effectivement pas faire beaucoup plus. Je vais aller chercher le reste de ses affaires tout à l’heure, mais contrairement à ce que je pensais hier, me prendre la tête avec sa mère n’est probablement pas l’idée du siècle.
« Allez viens, j’ai préparé le petit-déjeuner, il faut que tu manges. Les gars sont déjà levés. »
Elle hoche la tête et me suit dans la cuisine. Nous nous installons à table avec les garçons qui ont déjà fini de manger, et je vois que Yoa a l’air embarrassé. Je soupire. Il va falloir qu’ils expliquent tout ce qu’il s’est passé. Mais pour l’instant, Yoa se contente de lui demander comment elle va, et lui et Jacob essaie de la faire sourire en racontant des âneries. Ça marche un peu, même si je sens bien que c’est un sourire de façade.
« Vous… vous allez bien, tous les deux ? J’ai cru comprendre qu’il vous ait arrivé un truc pas cool hier, et que c’est pour ça que vous n’êtes pas venus, finalement. »
Jacob et Yoa se regardent, puis ils se tournent tous les deux vers moi, comme s’ils attendaient mon accord.
« Eh, c’est votre histoire, pas la mienne. Mais sachez que je ne lui mentirais pas. »
Cette phrase m’attire un regard interrogateur d’Ingrid, et je me contente de lui faire un sourire rassurant en pressant gentiment sa cuisse de la main. Après tout, il n’y a rien de grave.
Yoa pousse un profond soupir, et commence à raconter ce qu’il s’est passé hier.
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