Çanford-on-Bagley est magnifique. Je savais déjà que ça serait le cas, Ingrid ne s’est pas privée de m’envoyer des photos pour me donner envie, mais de le constater de mes propres yeux… Y’a pas à dire, c’est pas le même effet.
Quand j’ai demandé à papa et maman s’ils étaient d’accord pour que Yoa, Jacob et moi y allions, ils ont d’abord été hésitants, puis papa a fini par répondre ‘Vous êtes des adultes maintenant. Vous faites ce que vous voulez. Soyez prudents, c’est tout.’. J’ai pas trop compris pourquoi maman l’a regardé avec un air très tendre quand il a dit ça, mais je suppose que ça doit avoir un lien avec le côté un peu étouffant qu’il a parfois…
On a fêté notre anniversaire il y a à peine deux mois avec Yoa, et on aspire déjà à quitter le nid familial. Yoa vers Moonwood Mill pour se rapprocher de Jacob (qui ne veut vraisemblablement pas s’éloigner de sa famille, pour des raisons que j’ignore), et moi… je ne sais pas trop encore. Mais il faut bien avouer qu’Henford m’a tapée dans l’œil.
Et puis… Y’a Ingrid ici.
Ca fait plusieurs mois qu’on se connaît, donc je savais que j’allais apprécier sa compagnie, mais il faut bien admettre que la voir en vrai confirme le fait qu’elle me plaît sur bien des aspects. Et je pense que je ne suis pas totalement à côté de la plaque si je dis que je pense que c’est réciproque.
« Le centre-ville est super vivant, même si on est un tout petit village. Alors bien sûr y’a pas de ribambelles de magasins de luxe, de fast-foods et de karaoke, mais on est très fiers de dire qu’on ne s’ennuie pas ici ! Bon, ‘faut pas être un citadin, c’est sûr. »
Jacob se marre et contourne Ingrid pour aller enlacer mon frère par derrière.
« J’en connais un qui serait super malheureux ici.
— Eh oh, j’te signale que j’envisage sérieusement de déménager à Moonwood Mill !
— Ouais mais c’est pas loin de San Myshuno, c’est pas pareil… ! »
Je secoue la tête alors qu’ils continuent à se chamailler comme un couple marié depuis 40 ans, et Ingrid nous invite à la suivre un peu plus loin.
« C’est ici qu’il y a la foire de Finchwick une fois par mois. Les gens y présentent des poules, des vaches, des lamas… on l’a faite plusieurs fois avec ma mère, mais on n’a jamais gagné de prix malheureusement. C’est pas grave, l’important c’est de participer comme on dit ! »
Je crois que Jacob et Yoa n’écoutent pas trop, mais tant pis pour eux. Ingrid continue à me raconter plein d’anecdotes sur le village, comme la fois où un fermier a teint sa vache de toutes les couleurs pour gagner le prix ! Il a été disqualifié parce que ça a été considéré comme de la maltraitance animale, mais Ingrid me souffle ‘il parait qu’il existe une manière d’obtenir du lait multicolore pour de vrai… !’ Je pouffe. Je ne sais pas si elle y croit vraiment, mais apparemment elle avait dans tous les cas la volonté de me faire rire, si j’en crois son air satisfait.
On continue notre promenade dans le centre-ville tout en discutant et en riant. L’ambiance est détendue, même entre Jacob, Yoa et Ingrid, qui pourtant ne se connaissaient pas jusqu’à il y a quelques jours.
•
Ça fait déjà presque deux semaines qu’on est là, et tout se passe pour le mieux. Jacob et Yoa sont régulièrement en excursion dans la nature pour faire je ne sais quoi (et je ne veux pas savoir), et moi je passe beaucoup de temps avec Ingrid. C’est vraiment génial.
« Alors, que penses-tu d’Henford ? me demande-t-elle un jour dans sa chambre, alors que Yoa et Jacob sont je-ne-sais-où.
— J’adore. Franchement. Ça me vend du rêve comparé à la vie en ville qui est beaucoup trop… épuisante. Ça serait un cadre parfait pour écrire… mais il faut bien que je vive.
— Il y a une ville pas loin, tu pourras facilement y trouver du travail, je suis sûre. Même ici ! Et je peux t’aider, je connais plein de gens. Bon ça sera pas un travail de fou, mais au moins tu gagneras ta croûte. Enfin… si tu décides de venir vivre ici, bien sûr. »
« Si tu savais comme j’en meurs d’envie. Henford est magnifique, et… »
Je me tais et me sens rougir alors que mon cœur bat la chamade.
« Et… ? murmure-t-elle en se rapprochant de moi, ce qui n’aide en rien à calmer mon état. »
« Tu sais très bien…
— Peut-être, mais j’ai envie que tu le dises. »
Je prends une longue inspiration.
« C’est là que tu vis. Et j’ai envie de me rapprocher de toi.
— Pourquoi ?
— Ingrid !
— Quoi ? Tu sais, je suis stupide moi, je ne comprends rien à tes sous-entendus ! »
J’explose de rire et elle aussi, ce qui a pour conséquence de briser ma gêne. Puis soudain, elle se lève d’un bond et me tend la main.
« Viens, je vais te montrer quelque chose. »
Je lui prends la main et la suis.
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Le soleil est en train de se coucher mais il fait encore jour lorsqu’on arrive. C’est une clairière, au milieu de la nature dans laquelle fleurit le village. Une table de pique-nique, un grill, et des guirlandes lumineuses dans les arbres : seules traces de l’homme (de ce que je distingue en tout cas). La lumière du soleil couchant et celles des ampoules donnent un côté féérique au lieu. C’est sublime.
Ingrid me contourne et se place devant moi avant de prendre mes mains dans les siennes. Je la regarde faire. Elle les élève et embrasse chacune de mes phalanges. J’ai à nouveau le visage en feu. Puis elle place chacune de mes mains sur ses hanches ; et sans rien dire, elle s’approche, et je me réveille. J’encercle sa taille de mes bras pour l’attirer contre moi et l’embrasse. D’abord tendrement, puis avec plus de passion, mais sans jamais m’emballer. Juste ce qu’il faut. Ce que j’aime. Ce qu’on aime.
Je crois que je n’aurais pas pu rêver d’un meilleur cadre pour notre premier baiser.
Je ne veux pas prendre de décision hâtive, mais je pense que la question de savoir si je viens vivre à Henford ou non risque d’être vite résolue.
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