Au bout de ce qui me semble être plusieurs heures, j’entends la porte s’ouvrir.
« Yûya… ? »
Mon frère… ? Je pensais qu’il serait encore chez Jacob à cette heure-là… Qu’est-ce qu’il fait là ? Je me suis endormie ? Quelle heure il est ? Aïe, ma tête…
« Yûya… Qu’est-ce qui se passe ? Tu… t’as les yeux tout rouges… Tu as pleuré ? »
Il me dégage délicatement quelques mèches de cheveux qui s’étaient collées à mes joues à cause des larmes. Je ne sais pas quoi lui dire. C’est évident qu’il voit que j’ai pleuré, je sens que mes joues sont encore trempées.
« D-Désolée, je… je… »
J’essaie de parler mais c’est vraiment difficile. Toute la conversation que je viens d’avoir avec Cora me revient, et je sens les larmes qui remontent.
« Eh, Yûya, non, pleure pas, je suis là, tu peux me parler…
— J-Je me suis fait plaquer par Cora… »
Il me regarde, la bouche entre-ouverte, une expression à la fois surprise et triste sur le visage.
« C-Comment… Pourquoi ?
— P-Parce que je… je… »
Ça veut pas sortir. Est-ce que j’ai envie de lui dire ? S’il y a bien une personne qui pourrait ne jamais comprendre c’est lui. Mais en même temps c’est mon jumeau, mon meilleur-ami. J’essuie mes larmes comme je peux et entreprends de lui raconter la quasi-totalité de ma conversation avec Cora.
« P-Peut-être que j’ai vraiment un problème ? Que je dois… voir quelqu’un pour essayer de le régler ? »
« Eeh, non, dis pas ça, c’est archi-faux… On est tous différents Yûya… Pourquoi est-ce que t’aurais un problème ? Je suis sûr que des gens qui ressentent les choses comme toi y’en a plein. »
Je vais pas mentir, je suis surprise d’entendre ça de sa bouche.
« C’est toi qui dis ça, Monsieur Je-peux-pas-m-empêcher-de-parler-des-bienfaits-de-mes-nombreux-ébats ? »
Il rit et a la décence de rougir, même s’il me pince la joue pour se venger. Il essuie une de mes larmes et me répond :
« Les gens peuvent être attirés par plein de types de personnes différentes, alors je vois pas pourquoi certaines personnes pourraient n’être attirés par… rien ? Ou pas grand-chose ? Ça me semble plutôt concevable, tu penses pas ? »
« Je suis désolé, c’est nul ce qu’il s’est passé avec Cora, mais elle a peut-être raison, peut-être que vous vous seriez faites souffrir mutuellement sans le vouloir sur le long terme, et que c’est mieux pour vous d’être séparées ?
— Je sais, mais… ça fait mal quand même… Et… Et rien ne me dit que je trouverais quelqu’un qui me ressemble… J’ai tellement l’impression que tout le monde est intéressé par ça que… je sais pas…
— Peut-être que d’autres pensent la même chose, et ne s’expriment pas sur le sujet ?
— Ça ne va pas m’aider alors… »
Il me replace une mèche et me serre dans ses bras. A l’inverse d’avec Cora, je me blottis dans ses bras.
« Je pense que tu devrais essayer de regarder sur internet. Les gens s’expriment beaucoup plus facilement dessus, et tu devrais trouver des réponses à tes questions. »
J’ai vraiment le meilleur jumeau du monde.
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Yoa a eu raison. J’ai trouvé des réponses à mes questions sur le net, ainsi que des personnes avec qui parler.
Je suis vraisemblablement asexuelle. Ça veut dire que je n’éprouve pas de désir pour les autres gens. Mais y’a des personnes asexuelles, ace pour aller plus vite, qui ne sont pas dérangées par le sexe, alors que d’autres en sont répugnées, comme… comme moi. Enfin je ne sais pas si je suis répugnée, mais je n’ai pas du tout envie que ça me concerne.
Je lis qu’il y a différents types d’attirance, et qu’il existe notamment l’attirance sensuelle, qui est ce qui fait qu’on a envie d’embrasser quelqu’un. Ça explique pourquoi je n’avais aucun problème pour embrasser Cora, je trouvais ça même plutôt cool, même sans avoir jamais eu envie d’aller plus loin.
De lire tout ça me fait me sentir beaucoup plus… légère. Je me sens légitime. Je n’ai pas de problème bizarre, je suis juste… ace.
J’apprends également l’existence des personnes aromantiques, qui sont l’opposé de moi. C’est-à-dire qui n’ont aucun intérêt pour l’amour, mais qui en ont pour le sexe. Il y a également les personnes qui sont les deux, qu’on appelle « aro-ace ». Ça aurait été plus facile pour moi je pense… de carrément ne vouloir de relation amoureuse avec personne. Mais non.
Je me retrouve donc à discuter avec des gens des quatre coins du monde qui me ressemblent, et c’est fantastique comme sensation. L’appartenance. Je fais la connaissance de plein de gens super, avec qui je parle de plein d’autres choses qui n’ont pas forcément de liens avec la raison pour laquelle nous sommes tous sur le même site.
Au bout de plusieurs mois, je remarque que j’ai forgé des amitiés sincères, notamment avec une autre fille du nom d’Ingrid. On a beaucoup échangé parce qu’on est très similaires, mais elle habite loin, à Henford-on-Bagley ; autant dire que c’est vraiment pas la porte à côté. Toujours est-il que même si je ne peux pas la voir en vrai, je prends beaucoup de plaisir à discuter avec elle tous les jours.
Ingrid_rA — 19:02
Prête pour les exams ? Perso je stresse à mort… alors que je sais que je vais pas aller à la fac après !
Duskya — 19:03
Ben pareil tu vois… Je pense que je vais juste trouver un boulot de secrétaire, un truc du genre, pas trop fatiguant, et qui me permet de rester concentrer sur l’écriture à côté.
Ingrid_rA — 19:05
Et tu sais où tu veux trouver ça ? J’ai entendu dire qu’à Henford y’a du boulot comme ça, malgré la taille de la ville… Je dis ça, je dis rien !
Duskya — 19:06
Me tente pas ! Ça doit être le rêve de vivre dans une si petite ville, entouré de nature… et plus près de toi, aussi.
Ingrid_rA — 19:06
Flatteuse ♥
Duskya — 19:08
C’est vrai ! Mais… si je fais ça, je vais m’éloigner de ma famille, et… je sais pas si je suis prête à ça…
Ingrid_rA — 19:10
Aucune pression. Peut-être que cet été tu pourrais venir me voir ? Juste histoire de visiter, et t’aider éventuellement à prendre une décision ? Et même si finalement tu décides de rester vers San Myshuno, au moins, tu pourras profiter de belles vacances en campagne !
Je me mords la lèvre inférieure en lisant son dernier message. C’est vrai que c’est tentant… Peut-être que je pourrais proposer à Yoa et Jacob de venir avec moi ? Non pas que je ne fasse pas confiance à Ingrid, on a déjà discuté en visio et tout, je sais que c’est quelqu’un à qui je peux faire confiance, mais… ça sera peut-être moins accablant si je suis avec des proches.
J’entends la voix de papa qui m’appelle pour venir manger, alors je réponds à Ingrid que je vais y penser, et que je la tiens au courant, avant de me déconnecter.
J’ai de la réflexion qui m’attend !
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