Yoa a décidé qu’il voulait complètement arrêter de manger de la viande. Je ne sais pas exactement d’où ça sort, étant donné que personne dans notre entourage n’est végétarien, mais ce n’est pas impossible qu’il ait regardé un documentaire à la télé, ou qu’un de ses camarades de classe le soit. Il m’a fait tout un foin l’autre jour quand j’ai cuisiné du chili pour que je lui réserve une part sans viande. Bon… s’il n’y a que ça pour lui faire plaisir…
Yûya est moins difficile sur la nourriture, même si elle soutient son frère dans son choix. Je vous dis pas la galère la première fois que je suis allé faire les courses après cette nouvelle résolution de Yoa ! C’est qu’il faut lui compenser l’apport en protéine et en fer au p’tit, il est en pleine croissance !
Je crois que de loin ça amuse Yûya de me voir galérer.
Je vais vous embarquer dans la cuisine tous les deux, vous allez rien comprendre à ce qui vous arrive ! Enfin, en tout cas, je dois admettre que c’est pas mauvais…
« Alors papa, tu vois que les yakisoba ça a pas besoin d’être au bœuf ou au poisson ! s’exclame Yoa alors que j’engloutis ma dernière bouchée. »
« Ouais mais c’est bien parce que je suis un super cuistot !
— T’es de mauvaise foi papa, glousse Yûya en mangeant avec appétit. »
Tainn nous observe avec un éclat taquin dans les yeux. Je pense que ça l’amuse beaucoup de me voir me faire malmener par nos enfants. Rira bien qui rira le dernier !
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Chiyuki est diplômé, ça y est ! Il m’a appelé pour me l’annoncer l’autre jour, j’étais super content pour lui ! Avec un peu de chance, il va pouvoir avoir un logement plus grand que sa chambre étudiante qu’il s’est finalement tapé toutes ses études, et on pourra venir le voir. Mon petit frère me manque atrocement… mais j’essaie de compenser grâce à nos nombreux appels.
J’ai demandé à Tony s’il ne pensait pas que, comme le fils Montès n’a plus fait entendre parler de lui, on ne pourrait pas faire en sorte que Yuki puisse revenir, mais il m’a jeté un regard froid et m’a limite engueulé en disant que ça serait complètement inconscient de faire ça. J’ose espérer que toutes ces précautions ne sont pas pour rien parce que d’avoir un Tony tendu sur le dos presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre c’est relou puissance mille.
J’ai essayé de discuter avec Julian mais il est pas mieux malheureusement. Je leur fais confiance, ils doivent avoir leurs raisons, mais bon…
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Un jour, alors que je suis tranquillement en train de regarder la télé, j’entends le téléphone de Tainn qui sonne et elle qui répond d’un air un peu désintéressé alors qu’elle était en train de rédiger un mail pour le boulot. Je m’apprête à me concentrer à nouveau sur ma série lorsque je l’entends étouffer une exclamation de surprise, suivie d’un « merci, au-au revoir… » un peu faiblard. Intrigué, je me tourne vers elle et la voit avec la main devant la bouche, les yeux humides perdus dans le vague. Définitivement inquiet, je me lève en catastrophe et m’approche d’elle. Elle semble se lever machinalement et s’accroche à moi.
« Tainn… ?
— C’est mon père. Il… Il a fait une attaque. Ils ont pas pu le sauver… »
Et elle s’effondre dans mes bras.
Ne sachant quoi dire, je m’accroupis avec elle et me place de façon à la serrer dans mes bras alors qu’elle se met à pleurer.
Malgré leur relation très conflictuelle – et inexistantes ces dernières années – je ne doute pas que ça doit faire un choc, et être tout de même douloureux, d’apprendre ça. Je ne l’ai jamais rencontré (et je n’y tenais pas plus que ça, sachant comment il la traitait quand elle vivait encore sous son toit) mais je sais qu’il a eu un grand impact sur elle, malgré tout.
« Tu… Tu voudras aller à l’enterrement ?
— Je n’en ai pas la moindre envie. Mais je vais être obligée, je suis sa fille…
— Julian peut peut-être s’en occuper ?
— Oh je vais le traîner avec moi, ne t’inquiète pas. On récupérera l’héritage au passage. »
Je desserre mon étreinte et elle essuie ses larmes. Elle commence à vouloir se redresser alors je l’aide comme je peux et me replace face à elle en prenant ses mains dans les miennes.
« J’en reviens pas que je pleure encore pour cet enfoiré.
— Tu ne pleures peut-être pas pour lui, mais pour la relation que vous auriez pu avoir s’il avait été un père décent ? »
Elle me fait un sourire mais immédiatement repart en sanglots. Comme j’aimerais avoir les mots pour la calmer, mais je crois que seul le temps aura l’effet escompté.
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Elle est partie le lendemain dans sa ville natale en compagnie de Julian pour préparer les obsèques. Les enfants m’ont demandé où elle allait, alors je leur ai dis qu’elle devait s’occuper d’affaires de familles. Ils sont trop jeunes pour comprendre pourquoi ils n’ont pas connu leur grand-père maternel alors qu’il était vivant, et je n’ai pas envie de les rendre tristes. Cet homme ne mérite pas que mes enfants pleurent pour lui.
Quelques jours plus tard, Tainn revient dans la soirée, furieuse. Qu’est-ce qu’il se passe… ? Julian la suit alors qu’il manque de se prendre la porte de l’appartement qu’elle a essayé de claquer.
« Tainn… Ça ne sert à rien de t’énerver, tu ne peux rien y changer.
— Et tu crois que ça me fait me sentir mieux de savoir ça ?!
— Non, bien sûr, et moi aussi je suis en colère, mais…
— Il a toujours voulu contrôler ma vie, toujours ! Même crevé il arrive à m’emmerder, c’est incroyable ça quand même ! »
Oook, je comprends rien, mais elle est sexy quand elle est en colère… Hm. On verra ça plus tard.
« C’est quoi le problème… ?
— Rien, me répond sèchement Tainn. »
Ah c’est rare qu’elle me parle comme ça… Heureusement que les enfants dorment, je ne voudrais pas qu’ils assistent à ça…
« C’est un peu un des principaux concernés, tu ne crois pas ? intervient Julian.
— De quoi je me mêle, sérieux ?!
— Bon sang Tainn, calme-toi ! finit par s’énerver Julian. On n’est pas tes ennemis ! Ton père était une raclure, c’est sûr, et j’aurais dû me battre plus pour avoir ta garde il y a toutes ces années, mais nous parler comme ça ne résoudra rien ! »
Un silence s’installe. Au bout de quelques minutes, je me racle la gorge et ils tournent tous les deux la tête vers moi.
« Excusez-moi mais… on peut m’expliquer ? »
Tainn soupire et va se laisser tomber sur le canapé en faisant un signe de main à Julian. Celui-ci comprend et commence à me répondre :
« Il ne m’a rien laissé en héritage, tout va à Tainn, mais il y a une condition pour qu’elle puisse le toucher. Si tu veux mon avis je pense que ce n’est pas vraiment un pro–
— Julian !
— Aah..., soupire-t-il. Elle pourra le toucher que si elle se marie. »
Je sens ma mâchoire se décrocher.
« Quoi ?! Mais pourquoi ? »
« Hm… Mon charmant frangin avait une vision… comment dire… très archaïque des femmes. Pour ne pas dire incroyablement misogyne. Pour lui, elles n’ont pas à toucher d’argent, c’est le rôle du mari de s’en occuper.
— Mais… Tainn travaille, et depuis avant que je la rencontre…
— Ah bah crois-moi qu’il lui a bien dit de ne pas remettre les pieds chez lui si elle ‘osait’ faire ça. »
Mais c’est quoi ce type ? Incroyable que même mort il puisse encore descendre dans mon estime. Je secoue la tête et vais m’asseoir près de Tainn. Je lui prends les mains et elle se laisse faire.
« Pour information, ça me gêne pas de t’épouser, surtout si c’est pour du pognon, annoncé-je avec un grand sourire moqueur. »
Ça ne manque pas, elle rit et me frappe légèrement l’épaule. Après cette petite blague, je me reprends.
« Plus sérieusement, c’est quelque chose auquel j’ai déjà pensé, alors… ok, ça sera un peu plus tôt que dans ma tête, mais… on a déjà des enfants. L’engagement on l’a franchi y’a un moment.
— Je sais, mais… je voulais que ça ne soit que notre décision à nous. Ça ne regarde que nous, pas mon abruti de géniteur.
— Ouais mais il est canné le vieux, il pourra en tirer aucune satisfaction. On s’en fout de lui. Il voulait probablement te faire chier, sauf qu’en fait c’est pas le cas ! Moi je vais me marier avec une superbe femme, toi avec un super beau gosse, et on va avoir plein de thune. Tout bénèf ! »
J’entends Julian éclater de rire dans son coin alors que Tainn lève les yeux au ciel, sans se dépêtrer de son sourire.
« Ne surestime quand même pas mon héritage, il était pas si riche…
— Ah mais on s’en fiche. Moi si j’peux récupérer son fric et aller pisser sur sa tombe ça me va. »
Je sens la tension s’évaporer des épaules de Tainn alors qu’elle se plie en deux tellement elle rit. Julian n’est pas mieux de l’autre côté de la pièce et annonce qu’il m’accompagnera. Parfait.
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