« Pardon ?! »
Oh bon sang. Pourquoi j’ai accepté qu’on leur dise tout d’un coup ? Bon, ok, le ventre de Tainn va commencer à s’arrondir donc ça allait devenir évident, mais quand même… Je vais me faire tuer, c’est sûr… Adieu, monde cruel… !
« Je suis beaucoup trop jeune pour être grand-oncle…, se lamente soudainement Julian… d’une façon un peu exagérée si vous voulez mon avis. »
… C’est ça, son problème ? Je regarde Tainn qui hausse un sourcil dans ma direction, genre « j’te l’avais dis ! ». Est-ce que j’ai vraiment une image bien plus terrifiante de Julian que ce qu’il est réellement ?
« Il a raison. Enfin, je veux dire, vous êtes à peine adultes, tous les deux… et ça fait même pas deux mois que vous êtes ensemble, explique Tony avec un air que je comprends comme étant à la fois désapprobateur et inquiet.
— Quoi ? Comment vous savez ça ? »
« Je sais tout sur mes subordonnés, Kasai. Mais encore plus lorsqu’ils fréquentent la nièce de mon m– hm. De mon second.
— Vous voulez dire que…
— Que ça fait longtemps que Julian et moi sommes au courant pour vous deux ? Oui, exactement. »
J’en reviens pas. Alors je me suis rongé les sangs pour rien ? D’accord, Tainn m’a dit plusieurs fois que j’exagérais, mais c’était plus fort que moi. Enfin, je dis ça, mais ils n’approuvent pas pour autant, visiblement… Et je comprends, c’est vrai que sur le papier, c’est loin d’être une bonne idée : on est très jeunes, et on est ensemble depuis peu… mais on gagne tous les deux notre vie, donc a priori, on a de quoi subvenir aux besoins d’un nouveau-né.
« Ne t’inquiète pas tonton, enchaîne Tainn. Ça se passe très bien à mon travail, et entre Kasai et moi aussi. Je sais que c’est un peu précipité, mais –
— Oui Tainn ! C’est totalement précipité ! la coupe Julian. Tu as pensé à l’avortement ? Si ta mutuelle d’entreprise ne le couvre pas, je peux t’aider. »
« Ah non, tu ne vas pas me faire le coup de l’oncle protecteur ! Tu m’as toujours soutenue, et c’est bien pour ça que je ferme les yeux sur ce que vous faites dans cette organisation, toi et Tony ! Tu vas pas commencer à devenir comme mon abruti de père ! »
Cette remarque semble décontenancer Julian qui se calme immédiatement.
« Jamais je ne te ferais une chose pareille. Mais je suis inquiet, je n’y peux rien… Vous êtes si jeunes… »
Tainn prend une grande inspiration pour se calmer aussi et lui offre un sourire :
« On va se débrouiller, ne t’inquiète pas. »
Elle s’approche de lui et il la rejoint à mi-chemin pour l’enlacer avec force.
« Promets-moi que si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n’hésiteras pas à venir me voir.
— Promis tonton. »
Je souris devant la scène. Julian n’est décidément pas une personne si horrible. Enfin, en privé, en tout cas. Je regarde vite fait Tony et m’aperçois qu’il observe aussi les deux autres, avec un sourire étrangement tendre aux lèvres. Ça fait bizarre de le voir avec une expression aussi douce.
•
Lorsque je rentre chez moi, c’est sans surprise que je trouve le salon éteint, désert.
Je pousse un profond soupir. Je ne sais pas exactement ce que j’espérais, mais on peut toujours rêver.
Ça va bientôt faire un mois que Chiyuki est parti. Oh, je sais où il est, il est chez un copain le temps de finir sa dernière année scolaire au lycée de San Myshuno. Il me l’a dit, dans le mot qu’il m’a laissé en partant. Mais on ne s’est pas revus depuis notre dispute. Ça m’est arrivé d’aller vadrouiller dans les alentours du lycée, juste histoire de l’apercevoir, pour me rassurer qu’il va bien, mais je n’ai jamais tenté de le contacter. A quoi bon ? S’il est parti, c’est pour une bonne raison. Je n’ai même pas osé lui envoyer un simple texto. Une part de moi est toujours en colère, c’est sûr. Mais d’un autre côté, mon petit frère me manque aussi terriblement.
J’entre dans l’appartement, ferme la porte derrière moi, et vais m’affaler sur le fauteuil sans même allumer la lumière. J’ai la sensation que de toute façon, il est trop déçu de moi pour accepter de me voir. Si en plus il apprenait que j’ai fais un enfant à ma copine alors qu’on n’a même pas vingt ans tous les deux, il me traiterait d’irresponsable fini, et il aurait peut-être un peu raison. Mais je vais lui montrer que je peux prendre soin d’un autre être vivant du début à la fin. J’ai peut-être échoué avec Yuki, mais je ne referais plus autant d’erreurs.
J’observe un bout du lambris au mur que j’ai mal nettoyé. J’ai noyé mon chagrin dans la rénovation de cet appart moisi. J’ai lavé les murs en profondeur, j’ai colmaté les fissures et changé le papier peint, j’ai repeints les meubles et les appareils de la cuisine. Et si on voit le bon côté des choses, j’ai maintenant aussi une pièce dans laquelle je peux aménager une nurserie. Chouette non ?
Alors pourquoi est-ce que je pleure systématiquement dès que je rentre chez moi ?
•
J’ai fini par proposer à Tainn de venir emménager chez moi. Ça allait de toute façon se faire un jour ou l’autre, mais la solitude dans cet appartement que j’ai longtemps partagé avec mon frère me pèse de plus en plus, et elle l’a bien compris.
On a vite fait hésité, que ce soit moi qui emménage chez elle plutôt, étant donné que son appartement est bien moins insalubre, mais force est de constater qu’il est surtout beaucoup trop petit pour accueillir un enfant, contrairement au mien.
Je n’ai plus fait de pâtisserie depuis que Yuki est parti, mais là, d’avoir Tainn qui emménage, ça me redonne envie d’en faire. Je ne lui ai jamais fais goûter ce que je suis capable de faire, et j’ai envie de l’impressionner !
Elle va bientôt arriver avec Tony et Julian qui l’ont aidé à faire ses cartons et à vendre ses meubles en trop, il faut que ça soit prêt avant. Aujourd’hui, c’est bagels aux oignons !
Ce n’est que quelques minutes après avoir sorti les bagels du four que j’entends des coups à la porte. J’ouvre et fais un grand sourire à Tainn avant de la prendre dans mes bras. Ils entrent ensuite tous les trois dans l’appartement, et je vois que Tony et Julian inspectent un peu les lieux.
« J’ai beau n’être jamais venu avant tes rénovations, tu m’avais suffisamment bien décrit les soucis de cet appartement pour que je sois impressionné quand même, commente mon chef avec un hochement de tête approbateur.
— Merci… Ça m’a pris du temps, mais je suis assez content du résultat. »
« Bien sûr, c’est toujours pas le grand luxe, enchainé-je, mais c’est un bon début. Je n’avais absolument pas envie de décorer un appartement aussi miteux, mais maintenant qu’il ressemble plus à quelque chose, on va pouvoir le rendre un peu plus chaleureux ! »
Tainn me sourit et me prend la main, la serrant doucement. Elle observe aussi les alentours, même si elle est déjà venue plusieurs fois.
« Vous allez être bien je pense, annonce Julian en regardant sa nièce. L’appartement est grand, il a du potentiel. »
« C’est le diplôme de doctorat de ton père ? demande Tony en observant l’encadré au mur.
— Ah, oui. J’ai pas eu le cœur de m’en séparer. Mais il faudrait le mettre ailleurs et un peu plus en valeur je pense. »
Tony se tourne vers moi et me fait un sourire. Mais je n’ai pas spécialement envie de parler de mes parents maintenant, alors je leur propose plutôt de venir goûter mes bagels. On s’installe tous autour de la table une fois que Tainn s’est débarrassée de sa veste et de son pull, et tout le monde complimente ma cuisine.
« Olala, il faut que tu me donnes la recette, c’est une tuerie… ! gémit Tony en fermant les yeux, comme sur un nuage. »
Ça fait rire tout le monde, moi y compris.
•
Alors que je viens de finir de faire la vaisselle après le départ de Julian et Tony, Tainn vient me voir, toute excitée.
« Kasai ! Je le sens qui bouge ! »
« C’est vrai ? »
Je me penche alors et pose mes mains sur son ventre. J’attends quelques secondes et ça y est, je sens un petit coup.
« Oh ! Ça ne te fait pas mal ?
— Non, du tout. »
Je colle mon oreille à son ventre pour écouter, ce qui la fait rire.
« Ma seule inquiétude c’est que je trouve mon ventre un peu gros pour mon stade de grossesse, alors j’ai pris rendez-vous avec un obstétricien pour voir si tout va bien, me dit-elle en me caressant les cheveux alors que je suis toujours collé à son ventre. »
En entendant ça, je me redresse, interloqué.
« Tu… Tu penses qu’il peut y en avoir plusieurs dans ton ventre… ?
— C’est une possibilité, oui…
— Mais… Comment on va faire si c’est le cas ? »
Apparemment, ma réaction est amusante parce qu’elle pouffe.
« On fera comme prévu, on s’en occupera, peu importe le nombre. Ça sera fatiguant, mais on les aimera tout pareil, non ? »
Elle a raison. Requinqué, je la prends dans mes bras et l’embrasse avec passion. Je ne suis plus seul pour gérer les aléas de la vie, il faut que je me l’imprime dans le crâne.
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