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Chapitre 132

Chiyuki m’évite.


Enfin, en tout cas, c’est l’impression que j’ai. Ça fait deux jours que je lui ai parlé de Tainn, et contrairement à ce que j’aurais pensé, quand il est rentré des cours le soir, il ne m’a pas posé d’autres questions, et il s’est contenté de s’enfermer dans sa chambre jusqu’à ce que je parte au travail. Les jours suivants ont été similaires, il s’est toujours arrangé pour ne pas être dans les pièces communes pendant que j’étais là. Est-ce qu’il est encore gêné par rapport à Tainn ? Il avait l’air d’être vite passé à autre chose pourtant.


J’ai un arrière-goût de déjà-vu qui s’installe, et je n’aime pas ça du tout. La dernière fois qu’il m’a évité comme ça, c’est parce qu’il était en colère contre mon comportement, à lui cacher des choses. Pourtant, mis à part ce qui concerne le travail, je lui parle de tout depuis ! Et pour ce qui est du boulot, j’essaie de lui glisser quelques mots sur le sujet aussi, en enrobant la réalité pour ne pas qu’il se pose de questions.


Je dois partir bientôt, mais je décide d’aller lui parler avant. Je toque à la porte de sa chambre, et attends. Il finit par me donner l’autorisation d’entrer, alors je m’exécute. Il est dos à moi, les bras croisés. Un frisson d’appréhension me parcourt. Qu’est-ce qu’il se passe ?

« Yuki… ? »


Il ne répond rien, dans un premier temps. Puis, il se tourne vers moi, et me regarde. Ah. Finalement ce n’est pas Tony la personne la plus effrayante que je connaisse quand elle est en colère. Yuki n’affiche pas d’expression particulière, mais son regard est terrifiant.


« Il y a deux jours, à midi, je suis sorti du lycée avec des potes pour aller manger un bout dans un fast-food pas loin. On a marché un moment, et soudain, je t’ai vu, dans une ruelle adjacente, en train de discuter avec un type balafré aux cheveux blonds. »

Je déglutis.


« Antonino ‘Tony’ Costello. Rien que ça. Le Parrain de San Myshuno. Vous aviez l’air de bien vous marrer. Vous êtes juste potes, ou c’est pour lui que tu bosses aussi ? »


Je serre la mâchoire et ne réponds rien. Qu’est-ce que je peux répondre ? Yuki n’est pas idiot, peu importe l’excuse que je pourrais lui sortir, il n’en croira pas un mot.


En voyant que je ne réponds pas, il rit. Jaune, mais il rit quand même. Mon cœur se serre.


« T’es qui, exactement ? Pas mon frère, ça c’est certain. Mon frère, c’est quelqu’un d’adorable qui ne ferait pas de mal à une mouche, pas une petite racaille de bas-étage qui lèche les bottes de Costello.

— Tais-toi.

— C’est pour lui que tu fais le tapin depuis qu’on est ici ? Je me doutais très fortement que tu faisais des trucs pas très légaux derrière mon dos, mais là, ça dépasse tout ce que je pouvais imaginer.

— Je t’ai dis de te taire.

— Sinon quoi ? Tu vas lui demander de dire à ses hommes de s’occuper de moi ? C’est comme ça que vous faites, non ? Vous faites disparaître ceux qui vous mettent des bâtons dans les roues ?

— MAIS FERME-LA PUTAIN ! »


Il ferme instantanément la bouche et me regarde, choqué. C’est la première fois que j’élève la voix sur lui, surtout à ce point. Je m’approche en fulminant.


« J’ai peut-être pas pris les meilleures décisions dans ma vie, et je reconnais que je travaille pour des gens pas forcément très fréquentables. Mais tu sais pourquoi j’ai fais tout ça ?! Pour toi, abruti !

— Kas–

— Me coupe pas ! Toutes les putains de décisions que j’ai prises dans ma vie étaient pour toi, pour t’offrir la meilleure vie possible, pour qu’on vive pas dans une maison avec un cousin qui s’est senti obligé de nous loger, pour que t’aies un toit, de quoi bouffer, une éducation, un putain de suivi psychologique après la mort de nos parents ! J’étais désespéré, tu comprends ?! »


Il approche sa main comme pour me calmer mais je la dégage.

« Me touche pas ! Tu te crois malin ? Tu crois tout savoir ? T’as aucune idée d’à quel point Tony a été d’une aide précieuse. Je suis pas suffisamment naïf pour croire qu’il a fait ça de bonté de cœur, surtout au début, mais en attendant, il est la raison pour laquelle on n’a pas été à la rue un mois après notre arrivée à San Myshuno. Il est la raison pour laquelle t’as jamais été emmerdé depuis qu’on est là. Il est la raison pour laquelle on ne dépend de personne aujourd’hui ! Ce que je fais pour lui est pas forcément joli mais j’ai jamais tué personne bon sang ! Qu’est-ce que j’ai fais pour mériter que tu m’insultes comme ça ?! J’ai pris soin de toi toute ma vie, merde !! »


Ma respiration est saccadée après avoir tant crié. Il me regarde avec un air étrange, entre la confusion et la tristesse, mais c’est trop tard pour être désolé.


« Tu peux toujours te tirer et aller t’installer chez Katia ou Roy, j’te retiens plus. »


Je tourne les talons et sors de l’appartement en claquant la porte derrière moi.



La porte d’entrée de l’ancienne usine claque. Intrigué, Tony lève les yeux de son livre dans lequel il est immergé, et hausse les sourcils lorsqu’il voit apparaître son protégé, apparemment dans une colère noire. Ses pas sont lourds sur les marches en métal, et il est essoufflé lorsqu’il s’arrête devant lui.


« Ce n’est pas dans tes habitudes de débarquer chez moi comme ça, Kasai. Qu’est-ce qu’il se passe ? demande Tony en redressant la tête. »


Kasai se contente de baisser les yeux, les mains dans les poches, le souffle court.

Puis, alors que Tony s’apprête à le relancer, il se redresse.


« Quelle est la mission la plus chargée en adrénaline que vous pourriez me confier en toute tranquillité à ce stade de ma formation ? »


Interloqué, le plus âgé ne répond rien. Non pas que Kasai n’est pas un élément prometteur comme prévu, mais il n’a encore jamais pris une telle initiative.


« Eh bien, répond-il en détournant les yeux, réfléchissant, il faudrait aller voir les sœurs Edmond… je comptais t’y envoyer avec Julian, mais si tu sens que tu es prêt…

— Je le suis. »


Tony se tait un moment et se contente de sonder le jeune homme. Il tremble légèrement, comme s’il essayait de contenir une émotion forte, et ses mains agrippent sa veste. Il a les dents serrées, et sa respiration ne s’est pas vraiment calmée.


« Tu n’as pas l’air dans ton état normal, commente-t-il.

— Ça va.

— Ce n’est pas l’impression que tu renvoies…

— Ça va, je vous dis ! »


Le livre émet un bruit sourd lorsque Tony le ferme avec force. Kasai se redresse, droit comme un « i », une expression de colère sur le visage. Le criminel se lève, laissant le livre sur son fauteuil, et s’approche de son apprenti.


« Est-ce que tu t’entends ? Il est hors de question que je te confie quoi que ce soit dans l’état dans lequel tu es maintenant.

— Mais puisque je vous dis que ça va ! Je suis énervé, mais parfaitement en contrôle de mes actions !

— C’est faux. Tu trembles, tu hausses le ton… Si je t’envoie en mission, c’est comme si je t’envoyais au casse-pipe. Ma décision est prise, tu feras équipe avec Julian encore ce soir. »


Sur ces mots, Kasai explose :


« Pourquoi tout le monde s’acharne à me dire ce que je dois faire ou ne pas faire depuis trois ans, bordel ?! »

Tony regarde Kasai partir en trombe, la bouche entre-ouverte, complètement sonné de s’être fait hurler dessus de la sorte.


« Tu veux que j’aille le corriger ? le réveille la voix de Julian qui vient de descendre du dernier étage, certainement attiré par les cris.

— Non, c’est bon, répond Tony avant de se laisser tomber sur son fauteuil, évitant son livre de justesse. Un jour il comprendra que j’essaie juste de le protéger. »


Julian soupire et va s’asseoir dans la chaise près de l’autre homme.


« Ton attachement pour ce gosse va finir par te causer des problèmes. Je t’ai taquiné sur le sujet au début, mais plus ça va, plus j’ai vraiment l’impression que tu le considères comme une sorte de petit frère de substitution. Il n’est pas L–

— Ne prononce pas son nom. »

« Nino…

— Non, je… je sais ce que tu vas dire. Mais j’ai pas choisi de m’attacher à lui, hein. Je me suis pas dis « tiens, et si je le considérais comme un membre de ma famille, histoire de bien le mettre en danger ? ». Non. Il m’a fait pensé à… il m’a fait pensé à lui, c’est tout. Mon cœur a fait le reste. »


Dépité, Julian se contente de saisir la main de Tony, qui la retire froidement.


« T’as pas du taf ? »


Ravalant son expression blessée, il hoche la tête et se lève avant de quitter la pièce.



Je tambourine à la porte, me moquant de déranger les voisins. J’ai besoin de la voir, maintenant. La porte s’ouvre sur Tainn qui me regarde, surprise.


« Kasai ? Oh, qu’est-ce qu’il se passe ? »


Je ne lui réponds pas et la serre plutôt contre moi. J’enfouis ma tête dans le creux de son cou, et ne dis rien pendant quelques instants. Je sens sa main droite caresser mes cheveux alors qu’elle me murmure des paroles encourageantes. Je finis par tourner la tête pour pouvoir parler.


« Désolé, j’avais besoin de te voir… »

« Ne t’excuse pas. Si tu me disais ce qu’il ne va pas ? »


Elle se détache de moi et me prend les mains pour m’emmener vers le canapé. On s’assoit dessus, et le barrage cède, je lui explique tout ce qu’il vient de se passer. Les deux jours de silence de Yuki, sa crise, la mienne, et mon altercation avec Tony.


« Oh Kasai…

— J’irais m’excuser auprès de Tony plus tard, mais pour Yuki je… je sais pas quoi faire. Il a le droit de ne pas être d’accord avec ce que je fais mais je… j’ai toujours voulu prendre soin de lui. Je pense pas que je méritais toutes les insultes qu’il m’a jetées à la figure… »

Tainn soupire et détourne les yeux.


« Non, c’est certain. Mais je pense que comme toi, il s’est aussi laissé dépasser par ses émotions… il doit être terriblement inquiet pour toi.

— Mais pourquoi ? Ça fait des années que je bosse pour Tony, et il l’a bien compris ! Je suis encore vivant que je sache ! »


De nouveau énervé, je me lève sous le regard surpris de Tainn.

« Je ne cherche pas à lui trouver des excuses Kasai, je pense qu’il a véritablement essayé de te faire du mal, mais c’était probablement en réponse à sa propre souffrance de voir son frère s’engager dans une voie qu’il ne cautionne pas. »

Je secoue la tête.


« Pourquoi il ne peut pas être plus comme toi… ? Tu ne fais pas partie du gang, et pourtant…

— Oui, mais moi j’ai grandi en sachant ce qu’il se passait là-bas. Je sais précisément ce qui se fait et ce qui ne se fait pas dans l’organisation. Ça ne m’empêche pas d’avoir de l’appréhension, puisque ça reste un métier dangereux, mais j’ai confiance en Tony et Julian pour protéger leurs hommes au mieux. »


Je ne réponds rien. Je sais qu’elle a raison, et il est aussi probable que Yuki ne cautionne jamais. Je ne pense pas qu’il ira jusqu’à me dénoncer à la police, mais son départ de l’appartement me semble plus que probable, même si je ne l’y avais pas fortement incité. Je pousse un profond soupir et me rassois à côté de Tainn. Je suis déjà bien moins en colère que quand je suis arrivé, mais je sens bien que c’est pour laisser place à la tristesse. Cependant, je n’ai pas le temps de rentrer dans une spirale mentale infernale puisqu’elle prend à nouveau la parole :


« J’avais quelque chose à te dire aussi, mais maintenant j’hésite…, murmure-t-elle. »


Je tourne la tête dans sa direction, inquiet.


« Tu… Tu veux rompre ? »


Ça la fait éclater de rire. Je m’autorise un petit sourire aussi.


« Mais non idiot !

— Ben quoi alors ? Tu peux tout me dire. J’te signale que j’ai débarqué en chialant chez toi, on n’est plus à ça près…

— Hm… C’est pas exactement le même registre… »

« Peu importe ce que tu diras, je te promets que je partirais pas en courant !

— Je suis enceinte. »


Je crois que mon cœur va finir par lâcher. Trop d’émotions.


« Quoi ?!

— Arrête de crier…

— Mais je crie pas !

— Si, tu hurles.

— Pardon… »


Un silence s’installe.


« Tu es sûre qu’il est de…

— Kasai, tu es le seul homme avec qui j’ai été intime dans ma vie, alors oui, je suis sûre qu’il est de toi.

— D’accord, non mais je voulais juste vérifier… Hm… »


Je suis au bord de la panique, et elle doit bien le voir.


« Tu vas pas te défiler hein ? me demande-t-elle en me regardant droit dans les yeux.

— Non, non, mais, euh… Julian va bien l’apprendre… Je fais comment moi ? Il va me tuer… »


Ma remarque n’a pas l’effet escompté puisqu’elle se contente de rire.


« Arrête de dire des bêtises, dans le pire des cas, il va un peu grogner… »

Je n’ai rien le temps de répondre avant qu’elle m’embrasse avec douceur. Mon cœur tambourine encore dans ma poitrine, et j’ai la sensation qu’il ne se calmera pas de si tôt, mais avec elle dans mes bras, j’ai l’impression que je peux tout traverser.


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