Bon sang, cet appartement tombe en ruines… Non seulement y’a des trous dans la peinture et les meubles ne sont plus de première jeunesse, mais y’a aussi des souris, des cafards, une plomberie défaillante et des plombs qui sautent constamment ! La dernière fois, le propriétaire n’est même pas venu quand je l’ai appelé pour qu’il vienne réparer le disjoncteur… alors qu’il m’a dit qu’il passerait. Du coup, quand on s’est retrouvé soudainement sans électricité, j’ai décidé de faire ça moi-même. J’y connais pas grand-chose en électricité, mais avec quelques recherches sur internet grâce à mon téléphone, j’ai compris le problème.
Pour l’instant, Tony paye le loyer et se permet donc de me rémunérer des clopinettes. Autant vous dire que c’est pas avec ça que je vais pouvoir rendre cet appartement un peu plus habitable… ! Il m’a promis que mon salaire augmenterait considérablement quand je serais adulte, mais comme il ne me payera plus rien, ben je devrais tout assumer, financièrement parlant, donc on ne vivra pas plus dans le luxe. Cela dit, j’aurais peut-être suffisamment d’argent pour acheter un meilleur four… c’est vraiment pas un plaisir de faire des gâteaux avec un appareil aussi naze. J’ai voulu faire du pain l’autre jour, et bah je l’ai cramé… parce que la température de ce vieux machin est ingérable… !
Rooh mais regardez-moi ça… les joints ne tiennent jamais, une fois sur deux on finit trempés ! Ah et les voisins… Je vous jure que je vais les étriper un jour… La plupart du temps c’est Yuki qui s’occupe d’aller les voir, parce qu’il est bien plus diplomate que moi. Mais aujourd’hui, j’en ai eu marre…
« Eh ! C’est pas bientôt fini là-dedans ?! »
La porte finit par s’ouvrir et dévoile ma voisine qui me rend la vie encore plus insupportable récemment.
« Vous êtes consciente que vous vivez dans un appartement avec des gens autour ?! Combien de fois on doit venir vous voir pour que vous la boucliez ?! »
« Oh c’est bon gamin, retourne te coucher, je suis sûre que t’as école demain en plus.
— Et à cause de qui j’peux pas dormir, à votre avis ?! »
Elle se contente de secouer la tête et de rentrer chez elle sans ajouter un mot. Lorsque la porte claque, je fulmine. Je me demande ce qui se passerait si je donnais son nom à Tony, tiens…
•
Le lendemain, lorsque je rentre des courses le soir, Chiyuki m’interpelle. Je pose le sac sur la table de la cuisine et m’assois dans le fauteuil près de lui.
« J’ai trouvé un petit boulot !!
— Quoi ? Mais tu sais bien que le mien suffit à nous faire vivre, tu n’as pas besoin de travailler en plus…
— Non, ton boulot nous fait survivre… Je pense que tout revenu supplémentaire ne peut que nous aider ! Et franchement, ça me gêne pas.
— Si tu le dis… Tu vas faire quoi ?
— C’est pas super bien payé, mais je vais être vendeur dans une des boutiques de fringues du centre-ville. Apparemment, ils trouvent que je sais bien parler, et que du coup ça peut faire de moi un super bon vendeur !
— Oh, c’est chouette ça Yuki. Si ça te plaît, c’est le principal. Et si tu arrives à rester concentré sur tes études, bien sûr.
— Mais oui, t’inquiète ! »
Je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est Chiyuki qui a toutes les qualités que recherche Julian. Enfin, je dis ça, mais il sera toujours beaucoup trop gentil pour lui. Déjà que moi je sais pas comment je vais faire pour survivre dans ce milieu…
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La première chose à faire, c’est écouter Julian (et par extension, Tony). Le sport, c’est fait, c’est rentré dans ma routine grâce à Yuki, mais pour ce qui est du « savoir bien parler, et surtout, mentir » … Je sais pas trop comment je vais me débrouiller. C’est clairement pas avec mes devoirs que je vais apprendre à faire ça !
Je me suis résolu à le mentionner un jour timidement à Tony, en vérifiant que Julian n’était pas dans les parages. Celui-ci a éclaté de rire, et il m’a proposé qu’on aille faire les bars réputés de San Myshuno pour rencontrer des gens et apprendre « sur le tas » comme il dit. Il s’est ensuite arrêté et m’a regardé de haut en bas. J’aurais dû me méfier en voyant son regard pétiller… mais voilà que je suis passé entre ses mains pour un relooking, et je dois bien avouer que… bah ça fait bizarre. Il m’a aussi envoyé me faire couper les cheveux, et m’a lui-même percé l’oreille droite… « T’inquiète, j’ai fais ça plein de fois ! » qu’il m’a dit… Mouais. J’ai eu mal quand même hein !
« Bah alors, c’est quoi cette tête d’enterrement ? me demande-t-il en passant son bras autour de mes épaules le premier soir où il m’emmène dans un bar à cocktail, le lendemain de ce fameux « relooking ». T’es presque majeur, c’est l’occasion de faire la fête non ?
— Bof… Je deviens adulte, pas de quoi en faire tout un plat, non ? »
« Ouais, mais la majorité c’est trop bien ! T’es toujours jeune, mais tu peux faire plein de trucs que tu pouvais pas faire avant, comme boire de l’alcool !
— Ça m’intéresse pas beaucoup vous savez…
— Rah, arrête de faire ton rabat-joie ! Bon, de toute façon, on est là pour bosser. »
« Vous voulez que je fasse quoi, exactement ? Juste que j’aille parler aux gens ?
— Oui, on va commencer par ça. Je veux que tu rencontres un maximum de gens, et que tu te fasses bien voir de tous ceux à qui tu parles. Ok ? Je t’observerai de loin.
— Ah, vous… vous me laissez tout seul directement... ? »
Tony me sourit.
« Évidemment, sinon tu n’apprendras jamais si tu te reposes tout le temps sur moi. »
Je soupire alors mais hoche la tête. Il a raison, quelque part. Olala, je crois que je ne suis jamais allé à un endroit juste pour rencontrer des gens, ça va être très étrange…
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La soirée ne se passe finalement pas si mal. J’ai très vite perdu de vue Tony qui, comme promis, m’a lâché, mais j’ai pu rencontrer pas mal de monde. Bon, comme c’est l’été, les gens profitent de la piscine alors je me retrouve régulièrement à parler avec des personnes très peu vêtues, mais je m’habitue. Là, à côté de moi, c’est Megumi Ito, qui est assez connue au Japon apparemment. Je me demande si ça va me rapporter des points auprès de Tony d’avoir discuté avec une célébrité…
Un peu plus tard dans la soirée, alors que je m’apprête à retrouver mon cher patron pour lui annoncer que je pense avoir réussi ma mission, je tombe nez-à-nez avec…
« Arthur ?! »
Il se tourne vers moi et plisse les yeux. Apparemment, je lui dis quelque chose, mais il n’arrive pas à me remettre.
« C’est moi, Kasai, le fils d’Aran ! »
Son visage s’illumine alors.
« Kasai !! Oh mon Dieu, mon garçon, comment vas-tu ?! s’exclame-t-il en m’enlaçant avec force. »
Je ris face à son enthousiasme, mais il ne me laisse pas répondre puisqu’il me lâche et prend mon visage entre ses mains manucurées.
« Que tu as grandi ! Quel âge tu as, maintenant ?
— Bientôt 18 ans, réponds-je, un peu gêné.
— Déjà ?! Que le temps passe vite… Je ne savais pas que tu habitais à San Myshuno.
— Ah, oui, on… on a dû y déménager avec Yuki pour diverses raisons, après… hm… »
C’est encore difficile à dire.
Son sourire s’efface instantanément et il me serre gentiment l’épaule.
« Je suis très content de tomber sur toi, alors. Si jamais toi ou ton frère avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à venir nous voir. En plus, nous sommes de la même famille, maintenant.
— Ah bon ? demandé-je, intrigué.
— C’est vrai que tu ne dois pas être au courant… Je suis marié au cousin de ton père.
— Ooh ! Maël, c’est ça ?
— Exactement. »
Je ne sais pas pourquoi, mais une vague de tristesse me submerge soudainement. C’est l’effet de revoir et de parler à des gens qui étaient avant tout proches de papa, je pense…
Arthur le remarque puisqu’il arbore alors une expression peinée aussi, bien que ponctuée d’un petit sourire.
« Donne-moi ton téléphone, je vais te mettre mes coordonnées et celles de Maël dedans, ok ? »
Je renifle et m’exécute. Il pianote dessus quelques instants avant de me le rendre.
« Si tu as le moindre problème, n’hésite surtout pas ! »
J’arrive à lui faire un sourire, et avec un dernier signe de la main, je le remercie et m’éloigne pour partir à la recherche de Tony. Je me souviens m’être senti extrêmement seul après la mort de mes parents. Mais la vérité, c’est que je ne me rendais tout simplement pas compte d’à quel point j’étais entouré.
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