« Je suis rentré, annoncé-je en pénétrant dans l’appartement. »
Chiyuki ne me jette même pas un regard et se contente de faire « mmh » sans décrocher les yeux de l’écran de la télévision. Je soupire alors que je sens mon cœur se serrer. Depuis la mort de nos parents, notre relation n’a cessée de se dégrader, et ça me rend infiniment triste. J’ai fais ce que j’ai pu pour ne pas qu’on soit séparés, mais j’ai l’impression que je suis le seul à me réjouir de cela … Pourtant, c’est lui qui faisait des cauchemars au début, ayant peur de me perdre moi aussi.
Je m’approche de l’évier et me sers un verre d’eau. Et dire qu’il a été tellement heureux quand il est devenu suffisamment grand pour qu’on joue à encore plus de jeux ensemble…
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« Joyeux anniversaire Chiyuki !! »
« Alors Yuki, qu’est-ce que tu as hâte de faire maintenant que tu es grand ? demande maman.
— Jouer avec Kasai !
— Mais vous jouez déjà tout le temps ensemble ! s’exclame papa.
— Oui, mais avant, y’avait des trucs que j’étais trop petit pour faire ! Hein Kasai ? »
« Ouais, mais ‘faudra que tu fasses attention quand même, tu restes petit.
— Oh tu vas pas encore me couver tout le temps, si ? »
« J’suis le plus vieux, c’est mon boulot ! réponds-je en mettant les mains sur les hanches et en hochant la tête. »
Yuki fait la tronche environ deux secondes avant de me faire un grand sourire.
« On va au parc ?! »
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Je déglutis en repensant à tout ça. C’était il y a bien longtemps. Je finis mon verre d’eau et le pose dans l’évier avant d’aller m’installer sur le fauteuil à côté de Yuki.
« J’ai trouvé du travail. On n’aura plus de soucis d’argent normalement.
— Ok. Tu vas faire quoi ?
— Des livraisons.
— Des livraisons de quoi ? »
Je détourne un peu le regard et réponds que c’est pas important, ce qui lui fait plisser les yeux.
« Pourquoi tu veux pas me dire ? C’est pas légal, c’est ça ?
— Mais non…
— Alors quoi ?
— Alors rien, on s’en fiche, c’est tout ! Tu veux pas juste te réjouir qu’on va plus avoir à stresser pour l’argent maintenant ? On va pas vivre dans le luxe mais au moins tu pourras continuer à voir le Dr. Grubb.
— Et toi alors ? Elle me demande à chaque début de séance quand est-ce que tu reviens la voir j’te signale !
— J’en ai pas besoin, c’est bon. »
Il pousse un profond soupir et se lève avant d’éteindre la télé.
« Où tu vas ? demandé-je, surpris.
— Me coucher. J’ai école demain. Et toi aussi, d’ailleurs. »
Il claque la porte derrière lui après être entré dans sa chambre. Qu’est-ce que je fais de mal… ?
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Un peu plus tard, avant d’aller me coucher, je passe dans sa chambre pour le border. J’aimerai lui offrir une vie meilleure que celle-ci, c’est certain. Est-ce que j’ai vraiment pris la bonne décision en me battant pour avoir sa garde ? Ça m’a coûté des frais monstrueux en avocat, et je ne suis même pas sûr que ça le rende vraiment heureux.
Je me redresse et secoue la tête. C’est trop tard maintenant, il faut que j’arrête de m’apitoyer sur mon sort. Je ferais tout pour qu’il ait une vie heureuse, même si c’est au détriment de ma relation avec lui. Ça me dépite quand je repense à l’époque où la moindre de mes blagues nulles le faisait rire, mais bon. Peut-être qu’on était destinés aussi à s’éloigner l’un de l’autre.
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Si l’appartement dans lequel on est a au moins un point positif, c’est la cour en bas. Y’a un terrain de basket, des barres horizontales, et c’est là que se tient le festival des épices, alors j’aime bien aller déambuler là-bas après être rentré du collège.
Ou alors quand Kasai m’énerve. Ce qui arrive assez souvent. Je le reconnais plus depuis la mort de nos parents… je vois bien qu’il se plie en quatre pour nous deux, mais en même temps il se renferme, il me dit plus rien, et j’ai l’impression que je suis le seul à encore pleurer le soir dans mon lit. Ok, il est plus grand, mais… il s’est tellement tout de suite occupé de moi que j’ai l’impression qu’il a pas… vécu le deuil. Enfin, je sais pas… Ce que je sais, ce que je le reconnais plus, et ça me fait peur. En plus, j’ai l’impression qu’il fait des trucs louches, mais je sais pas comment lui tirer les vers du nez.
On a déménagé à San Myshuno parce que certains loyers sont plus abordables qu’à Willow Creek (et en même temps, vu la tête de l’appartement, c’est pas étonnant…), mais du coup on s’est encore plus coupé de notre famille. Roy et Eyleen voulaient nous aider, même une fois que la justice a autorisé Kasai à devenir mon gardien, mais il a refusé, je sais pas pourquoi. J’ai treize ans et demi, mais il me traite comme si j’en avais six, il me dit rien.
Je lance le ballon trop fort et il rebondit sur le panneau avant d’atterrir à plusieurs mètres de moi. Je me frotte le visage de mes mains. Pourquoi est-ce que tu me parles pas, Kasai ? Je peux aussi prendre soin de toi, même si je suis plus jeune.
• BONUS •
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