J’ai repris la danse doucement avec des cours de contemporain et de hip-hop, et je suis ravi de voir que ça revient rapidement. Mes professeurs se demandent vite ce que je fais là, puisque j’ai clairement un niveau professionnel selon eux. Je leur explique la situation et ils comprennent mais m’encourage à rechercher plutôt une troupe ou une agence qui pourrait me dégoter des contrats avec des artistes musicaux. Ma prof de hip-hop me donne d’ailleurs le numéro d’un membre d’une troupe qui cherche actuellement un sixième membre pour pouvoir participer à un concours. Je la remercie, et après un peu d’hésitation, je décide d’envoyer un message à cette fameuse Fredrika.
Je lui explique que je danse depuis très longtemps, et que j’ai depuis peu l’envie d’en faire ma vocation en plus de ma passion. Je précise comment j’ai obtenu son numéro, et je lui demande de me laisser une chance de pouvoir intégrer leur troupe. Sa réponse ne se fait pas trop attendre :
Fredrika – 18 : 42
Bonsoir Aran,
Tu tombes à pic ! Notre dernière audition ne s’est pas très bien passée, et on se retrouve sans le moindre candidat. Je dois te prévenir par contre que le concours est dans un mois, ce qui te laissera très peu de temps pour te préparer. Est-ce que ça sera possible de ton côté ? Si oui, retrouve-nous au Creek Club demain soir, on pourra discuter, et tu pourras nous montrer tes talents sur la piste !
Un mois ?! Oh bon sang… Il va falloir que je cravache dur… et avec un bébé à la maison, j’ai peur que ça soit impossible… Ou alors je remets la totalité de la parentalité entre les mains d’Aude pour cette courte période, mais elle travaille… Je peux lui en parler, mais… hm… Je réponds tout de même que je suis intéressé, et qu’il faut juste que je vois quelques détails avant de confirmer ma présence demain soir. Elle m’assure que dans tous les cas ils seront au Creek Club, et que je peux utiliser la journée de demain pour me décider sans problème.
Après l’accouchement d’Aude, on a réussi à mettre en place une routine qui nous convient à tous les deux, et c’est chouette. Syrah ou Max viennent de temps en temps garder Kasai, et ça nous aide beaucoup. Peut-être qu’avec un peu d’aménagement ça peut se faire…
Lorsque je passe donner le biberon à Kasai avant d’aller dormir, je sens une vague d’amour me submerger. En réalité, le plus dur sera de voir peu mon fils pendant cette période, je le sais.
Je soupire en le regardant téter avec appétit. Il est si petit et si mignon. J’ai parfois encore du mal à réaliser que je suis père, et déjà il faudrait que je m’éloigne de lui pour le travail. Je sais que je dramatise un peu, après tout, il ne s’agit que d’un mois intensif, et je ne sais pas encore comment ça va se passer, mais bon… Un bébé, ça change tellement à cet âge-là !
Le lendemain, au petit-déjeuner, j’en parle à Aude, et contre toute attente, elle est très enthousiaste.
« Mais vas-y ! Fonce ! On s’occupera du ‘comment’ plus tard ! C’est une opportunité en or ! »
J’ai l’impression qu’elle me rappelle un peu tous les jours pourquoi je suis tombé amoureux d’elle.
Ça ne m’enlève pas mon appréhension vis-à-vis de Kasai, mais d’avoir son soutien est un grand soulagement. Il faudra quand même que je parle à Syrah, pour voir si elle aurait le temps de soulager un peu Aude quand je passerai toute la journée dans un studio de danse… si je suis choisi.
Dès qu’Aude franchit la porte de la maison pour se rendre au travail, j’envoie un sms à Syrah pour lui demander si elle ou Max sont disponibles pour garder Kasai aujourd’hui. Le studio de danse dans lequel j’ai mes cours est ouvert au public, il faut juste réserver un créneau sur leur site, et j’ai vu qu’il y avait de la place cet après-midi. Si je dois faire mes preuves ce soir, je ne veux pas arriver les mains dans les poches, il faut que je m’entraîne avant !
Syrah me répond qu’il n’y a pas de soucis, alors je réserve le studio. En attendant l’heure, je danse dans le salon, mais c’est pas pratique, je ne peux faire aucun grand mouvement sans risquer de tout casser, évidemment.
A quinze heures pétantes, je suis dans la salle que j’ai réservée. Et après un échauffement consciencieux, je commence mon entrainement.
Ce sont des trucs simples au début mais qu’il faut maîtriser.
Au bout d’une heure, je commence à sentir la confiance qui me gagne. Je me demande si j’arrive encore à faire mon super salto arrière. Je prends position sur mes appuis et saute… ! Avant de me rétamer par terre…
« Aouch… je vais avoir un hématome à la mâchoire, super… »
Aïe… Se rater sur du parquet, c’est pas la sensation la plus agréable qui existe… Mais heureusement, je n’ai rien de cassé. Je vais attendre un peu avant de réessayer. Et peut-être avec un tapis en dessous…
J’admets que ça me met un petit coup au moral pour le reste de la séance, mais j’essaie de me raisonner. Ce n’est pas parce que je ne sais plus faire de salto arrière, autrement dit une figure extrêmement difficile que peu de danseurs prennent le risque de pratiquer, que je vais me faire recaler.
Bon, je suis un peu dégoûté quand même, mais ça va revenir avec de la pratique, je pense. Je pousse un soupir et continue de danser, jusqu’à ce qu’il soit l’heure de partir et de libérer la salle. Allez... ce soir, je donne tout.
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Le Creek Club est une boîte de nuit qui a ouvert pendant que j’étais à Windenburg, je n’y ai donc jamais mis les pieds. J’avoue être assez impressionné devant l’immense bâtiment qui fait un peu tâche dans ce centre-ville un peu vieillot.
Je pénètre dans le bâtiment, qui est assez vide pour l’instant (il est tôt, après tout), et j’avance à petit pas, scrutant les personnes déjà présente. Fredrika m’a dit qu’elle m’attendrait au rez-de-chaussée, la musique y est moins forte, ça sera plus facile pour les présentations.
Je ressers un peu ma cravate, nerveux. Je n’ai même pas pensé à lui demander ce qu’elle porterait comme vêtements, ça aurait été plus facile pour –
« Aran ? »
Je fais un bond et me retourne d’un coup, me retrouvant en face d’une jeune femme qui éclate de rire.
« Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur ! »
La main encore sur le cœur de surprise, je lui fais un petit sourire et lui répond que je suis un peu stressé, c’est pour ça. Elle me sourit et me dit qu’il n’y a pas de raison de l’être, et qu’elle ne va me manger, et ses comparses non plus. Je détourne les yeux avec un sourire gêné.
« Ou-oui, tu as raison, désolé… »
« Ne t’excuse pas va ! Viens, je vais aller te présenter aux autres. Ça sera sûrement plus bruyant qu’ici, mais ça devrait aller ! »
Opinant du chef, je la suis alors qu’elle entreprend de monter les escaliers qui mènent aux étages supérieurs. La musique est en effet plus forte, et on est obligé d’hausser la voix pour s’entendre.
« Alors cheffe, on fricote déjà avec le nouveau venu ? »
Je pique un fard pendant que Fredrika lève les yeux au ciel avant de donner une tape derrière la tête du jeune homme qui vient de parler lorsque nous sommes apparus à l’étage.
« Tais-toi Arthur, il est déjà suffisamment mal à l’aise comme ça !
— Oh ça va, je rigole… »
Ledit Arthur se lève et s’approche de moi avec un grand sourire avant de me serrer la main.
« Désolé, c’est pas contre toi, j’aime juste particulièrement embêter Fredrika !
— P-pas de soucis… »
Il me regarde de haut en bas sans me lâcher la main.
« T’es célibataire ou pas ?
— Arthur ! »
Il rit et se dirige vers les pistes de danse sans rien ajouter.
« Il est pas méchant, promis, m’affirme une autre des danseuses qui se déhanche déjà un peu sur la musique. Je pense que tu l’as compris, mais cet abruti s’appelle Arthur. Moi c’est Juliana, et là c’est Cornelia, ma sœur. »
« Enchantée Aran ! Il ne manque plus que Suhann et tu auras fait la connaissance de tout le monde ! s’exclame Cornelia avant de se retourner, semblant chercher des yeux le dernier nommé. Ah, Suhann ! Ramène tes fesses !
— Est-ce que tu es obligée de crier mon nom dans toute la discothèque… ?
— Évidemment, quelle question ! »
Suhann secoue la tête de dépit mais on peut quand même distinguer un sourire sur ses lèvres. On dirait qu’ils s’entendent tous bien. C’est chouette à voir, mais en même temps, je ne peux pas m’empêcher de me sentir comme un intrus… Suhann se tourne vers moi et me serre la main en souriant.
« Ravi de te rencontrer. Arthur ne t’a pas trop traumatisé j’espère ?
— Non, non, ça va… Il a… Il a l’air à l’aise… Contrairement à moi… »
Suhann tourne la tête vers la piste de danse où se trouve Arthur et soupire.
« Ça, c’est certain. »
Fredrika nous interrompt et nous demande si on est prêts pour une petite impro sur les pistes. Fébrile, je hoche tout de même la tête et essaie de retrouver confiance en mes capacités. Ça va aller Aran, tu es loin d’être un mauvais danseur, et ce n’est pas un stupide salto arrière raté qui va te faire croire le contraire !
On commence par quelque chose de simple, puis on essaie de se synchroniser, et on y arrive plutôt bien ! Enfin, j’y arrive plutôt bien, puisque eux ont l’habitude de danser ensembles.
C’est quand je vois Fredrika danser en talons aiguilles sans problème que je comprends pourquoi c’est la cheffe de la troupe… Même si je dois bien l’admettre, ils sont tous très bons.
Le temps passe à une vitesse folle, et bientôt je suis complètement essoufflé. Fredrika me donne une tape dans le dos et me demande si je suis disponible demain matin pour me joindre à eux pour leur session d’entrainement. Je la regarde, la bouche entre-ouverte de surprise.
« Tu… Vous me voulez dans la troupe ?
— Yep. Mais avant de dire t’engager, attends de voir la chorégraphie qu’on doit apprendre demain. Là tu prendras ta décision. Si tu estimes que c’est trop galère en un mois, je comprendrais. Ou si t’en as déjà marre d’Arthur, au choix. »
Je ne peux pas m’empêcher de rire. Arthur est… entreprenant, mais néanmoins je ne doute pas qu’il soit très sympathique, comme tous les autres.
Nous passons encore quelques temps à discuter et à faire connaissance, mais bien vite la fatigue nous rattrape tous et nous oblige à couper court. Je promets une dernière fois à Fredrika que je serais au studio de danse de la ville à 10h pétantes demain matin, et je m’éclipse pour retrouver mon lit.
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