Nous n’en avons pas parlé le lendemain. Ni les jours suivants. Aude continue à aller travailler malgré tout, et je me demande si elle ne me laisse pas le temps de réfléchir comme ça. Bon, je préfèrerai qu’elle ne m’évite pas en même temps, mais le fait est qu’on ne se parle presque plus depuis notre dispute. Et j’en ai marre. Il faut qu’on parle.
Je rentre de l’hôpital un peu plus tôt que d’habitude parce que je sais qu’elle ne travaille pas aujourd’hui, comme ça on aura bien le temps de parler. J’arrive et je vois que son vélo devant la maison a disparu.
Ah, elle est partie faire un tour. Bon, je vais l’attendre, peu importe. J’entre dans le salon et des papiers sur le plan de travail attirent mon attention.
Je m’approche et mon cœur manque de sortir de ma poitrine quand je vois l’entête. « Tribunal de Grande Instance ». Je parcours vite la feuille des yeux et j’ai bientôt confirmation que ce sont des papiers de divorce… déjà signés par Aude.
Une lettre manuscrite est posée à côté.
« Cher Aran,
Je te prie d’excuser mon comportement de ces dernières semaines, j’ai vraiment tout foiré jusqu’au bout.
Ne me cherche pas, je suis partie. J’ai pris les quelques affaires qui n’étaient qu’à moi et je suis retournée à Brindleton Bay. Je sais à quel point travailler dans cet hôpital est important pour toi, et c’était une torture de devoir t’imposer de démissionner pour me suivre. Alors j’ai pris la décision la plus difficile que j’ai eu à prendre de ma vie : je m’en vais loin de toi. Il m’était impossible de rester un jour de plus à Windenburg… et j’avoue faire preuve de lâcheté en partant comme ça. Mais peut-être que ça sera plus simple pour nous deux ainsi.
Je pense savoir qui a saboté ma vie comme ça. Un collègue jaloux, qui voulait ce poste d’avocat junior. Quand j’ai annoncé ma démission, il a affiché un air beaucoup trop satisfait. Cependant, je ne suis sûre de rien.
Signe les papiers du divorce, tu n’auras qu’à les envoyer à mon avocat, et ça sera pris en compte. Je ne vais pas t’emprisonner dans un mariage alors qu’on ne peut plus vivre dans la même ville… Pardonne-moi.
Je t’aimerai toujours,
Aude. »
Jamais je n’aurai pensé pouvoir être si en colère contre elle. Comment ose-t-elle prendre des décisions à ma place comme ça ? Elle ne me fait pas confiance ? C’est vrai, j’ai hésité la dernière fois, mais j’ai réfléchi depuis, on aurait pu trouver un compromis, une autre ville, je me serais arrangé pour faire de la route, tant pis.
Mes doigts serrent tellement fort sa lettre qu’elle finit par se déchirer entre mes mains. Je donne un violent coup sur le plan de travail, le faisant trembler. Puis, mes genoux lâchent, et je me retrouve au sol, avant d’éclater en sanglots.
•
Lorsque je me réveille le lendemain matin, je suis dans mon lit. Je n’ai aucun souvenir de comment je suis arrivé là, sachant que j’ai passé ma soirée à pleurer sur le sol de la cuisine. J’ai sûrement dû me relever, complètement exténué et m’écrouler ici.
Je sens son odeur dans les draps et mon cœur se fendre un peu plus. Puis je repense aux papiers qui m’attendent en bas et la colère surgit à nouveau. Elle n’a pas l’air de tenir à moi autant que je tiens à elle. Elle a préféré faire preuve de lâcheté plutôt que d’avoir une véritable discussion avec moi. Elle veut divorcer ?
Très bien.
La colère ne m’a pas quitté de la journée, et quelques heures plus tard, j’avais tout fait : changé les draps et aéré la maison pour faire disparaître son odeur, ainsi que renvoyé les papiers signés. Ça aurait dû me soulager, mais j’ai maintenant l’impression d’avoir un énorme creux dans la poitrine. Dites, comment on oublie l’amour de sa vie… ?
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En quelques semaines, j’ai essayé plusieurs choses.
La première a été de me plonger dans le travail. Ces derniers temps, j’ai fais des horaires absolument monstrueux, partant de chez moi très tôt le matin, revenant très tard le soir. Mes collègues ont fini par s’inquiéter, et ma patronne m’a imposé une semaine de repos. Si vous saviez comme j’ai détesté l’air de pitié qu’elle a eu dans les yeux… Mais en même temps, elle a eu raison. Je ne peux pas correctement m’occuper des gens si je suis moi-même au bord de l’évanouissement. Ce soir-là, quand je suis rentré, je me suis écroulé sur le canapé sans manger, tellement j’étais exténué.
Mais malheureusement, ces vacances forcées m’ont laissé seul avec mes pensées, et je ne l’ai pas supporté. Alors j’ai essayé autre chose pour me changer les idées, et… j’avoue que je n’en suis pas très fier.
Quand j’étais à la fac, j’ai eu plusieurs périodes où j’ai voulu essayé d’oublier Aude, alors je suis sorti avec plusieurs personnes. Des garçons, des filles, entre les deux, au-delà, peu m’importait. Il y en a eu un avec qui je me suis vraiment bien entendu : Chris. Même après notre séparation, on a gardé contact, même si je n’irais pas jusqu’à le considérer comme un ami. On se parle de temps en temps, c’est tout. Enfin… c’était tout.
J’ai débarqué à l’improviste un jour, et même s’il a eu l’air surpris de me voir, il n’a pas eu l’air mécontent.
« Aran ? Tu es bien la dernière personne que je m’attendais à voir un dimanche matin. Ça fait des années qu’on ne s’est pas vu… Tout va bien ? »
Vous savez pourquoi je me trouve horrible ? J’ai toujours su qu’il avait plus d’affection pour moi que j’en avais pour lui, même si je n’irais quand même pas jusqu’à dire qu’il était amoureux. Je me suis servi de lui à l’époque, et voilà que je recommence la même chose toutes ces années après. Mais sur le moment, j’étais en colère, alors je lui ai fais mon numéro de charme. Vingt minutes de baratin dans son salon et il était déjà dans mes bras.
Quinze minutes de plus et on était dans son lit.
Et le pire, c’est que ça ne s’est pas du tout passé comme je l’avais prévu. Je me suis mis à pleurer. Je pensais que j’allais juste oublier la plaie qui me crève le cœur depuis des semaines pendant quelques temps, mais non, je n’ai fais que mettre du sel dessus. Bien sûr, Chris s’est immédiatement inquiété, et on a tout arrêté net. Je vous explique pas sa tête quand j’ai commencé à tout lui raconter en sanglotant comme une madeleine…
J’ai même pas été capable d’aller jusqu’au bout, mais en plus, il a pas signé pour être mon psy, et le voilà qui m’écoute déblatérer toute ma vie amoureuse foirée.
J’ai fini par me calmer, et je me suis rendu compte qu’il n’avait rien dit depuis que j’avais commencé à parler, alors je me suis empressé de m’excuser.
« Pardon, je… ça a toujours été facile de parler avec toi, mais je me suis un peu laissé aller là… »
Contre toute attente, il m’a sourit.
« Honnêtement, je me doutais qu’il y avait anguille sous roche quand je t’ai vu débarquer sans prévenir comme ça après tout ce temps, mais là… Ça t’a fait du bien de me parler ou pas ? »
J’ai probablement eu l’air surpris par sa question, mais je n’ai pu qu’acquiescer. C’est vrai que j’ai eu l’impression d’être un peu plus léger, même si c’est resté minime.
« C’est cool alors. Écoute, je vais pas me venter de pouvoir t’aider à aller mieux ou quoi, mais je pense qu’il faut que tu te calmes. Ça se voit que t’es en colère et que t’es au bord de l’implosion. ‘Faut que t’arrives à relativiser et à comprendre les choix qu’elle a fait. Ils ont été super maladroits, j’dis pas, mais tu te fais du mal qu’à toi à rester aussi énervé contre elle. Et peut-être qu’une fois que tu auras fais ça, tu seras capable de réfléchir et de savoir ce qui t’importe le plus : Aude, ou ton boulot dans cette clinique. Et c’est totalement ok si c’est le boulot hein. Mais franchement ? Je crois pas. »
J’ai baissé les yeux. Facile à dire. J’ai été profondément blessé par sa décision. Elle m’a privé d’un choix que j’aurai aimé avoir. J’ai senti la main chaude de Chris me caresser le haut du dos et me le tapoter gentiment. Je lui ai fais un sourire et nous nous sommes levés pour aller nous rhabiller.
« Ah, au fait. Si jamais ta décision c’est que tu préfères ton taf, tu sais où me trouver. »
Je n’ai pas pu m’empêcher de rire. Je l’ai remercié, je me suis excusé et il m’a fait un signe de la main pour me dire que c’était pas grave. Lorsque je suis rentré chez moi ce soir-là, j’étais à la fois plus léger, et plus inquiet. Je n’avais fais que fuir, et maintenant il fallait que j’affronte mes sentiments… et ça n’a rien d’engageant, vous pouvez me croire.
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