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Chapitre 112

Les résultats de l’entretien d’Aude avec ses chefs ont vite porté leurs fruits : elle est dorénavant la nouvelle avocate junior du cabinet ! L’ambiance n’avait jamais été morose à la maison, mais maintenant, on a encore plus de choses à se dire puisqu’elle me parle de sa journée en long, en large et en travers. Ça me fait vraiment plaisir de la voir s’épanouir dans son travail.


Quant à moi, ça se passe toujours bien. Tellement bien que la cheffe du service que je veux intégrer m’a dit qu’ils m’embaucheraient volontiers quand j’aurai fini mes études… Ce qui veut dire… Qu’on aura bientôt tous les deux des situations financières stables. Et qu’on pourrait se permettre de… bah… d’agrandir la famille, quoi… !


… Je suis encore en train de m’emballer…


Un jour, alors que je suis en train de fredonner en faisant le repas du soir, j’entends Aude rentrer.

Sauf qu’elle me jette à peine un regard et elle monte en trombe les escaliers. J’ai cru voir un air triste sur son visage. Que…

Sonné, je reprends mes esprits lorsque j’entends la porte de notre chambre claquer. Je lâche immédiatement ma préparation et monte.


J’entrouvre la porte et elle est là, allongée sur notre lit, tremblant légèrement. Elle pleure. Mon cœur se fend. Les seules fois où je l’ai vue pleurer, c’était au moment des décès de ses mères.


« Aude… ? »

Je n’ai cependant pas le temps de m’avancer davantage puisqu’elle me dit :


« Laisse-moi. S’il-te-plaît. »


Sa voix est moins chevrotante que ce à quoi je m’attendais, mais elle reste faible. Je respecte sa décision. Si elle a envie d’être seule, c’est à elle de voir.


« D’accord… N’hésite pas si tu changes d’avis… Je serais là. Toujours. »


Elle ne répond rien, alors je quitte doucement la chambre. Bizarrement, je n’ai plus faim.



Au bout de deux heures, j’entends finalement des pas dans les escaliers. La voilà qui descend. Est-ce qu’elle va venir me voir ?


« Aran ? »

Je prends une grande respiration et me tourne vers elle en essayant de lui faire un sourire compatissant. Elle n’a plus l’air si triste, mais elle a les yeux gonflés et le nez un peu rouge, signe qu’elle a pleuré. Je tapote le canapé à côté de moi pour l’inviter à s’asseoir, ce qu’elle fait.


« Tu veux en parler ? Tu n’es pas obligée, bien sûr.

— Oui… Je suis désolée de t’avoir envoyé sur les roses tout à l’heure…

— C’est pas grave, j’ai compris que tu avais besoin d’être seule. Qu’est-ce qu’il s’est passé… ? »


Elle prend à son tour une longue inspiration, et commence à me raconter sa journée. Ça fait quelques semaines qu’elle travaille sur un dossier important, son premier en temps qu’avocate junior. Elle était très fière du travail qu’elle avait réussi à accomplir. Et puis…


« Je reviens de ma pause déjeuner, et je vais sur mon ordinateur pour ouvrir le fichier : plus rien. Tout est vide : le dossier, la corbeille. J’ai même vérifié si je ne l’avais pas placé ailleurs dans l’ordinateur, non. J’ai paniqué, alors j’ai cherché la clé USB sur laquelle j’avais fais une sauvegarde. »

Je sens mon cœur s’arrêter un court instant. Je sens mal la fin de cette histoire…


« Mais là aussi, plus rien… J’ai… J’ai perdu l’intégralité des données que j’avais accumulées sur ce dossier, excepté quelques rares documents que j’ai encore sous forme physique, mais c’est presque rien… Je… Je n’arrive pas à me rappeler de ce que j’ai fais exactement avant d’aller déjeuner, mais comment j’aurai pu supprimer ça ? C’est impossible… »


Non, ça me paraît évident que c’est impossible, en effet.


« Ces données n’ont pas disparu d’elles-mêmes Aude, quelqu’un les a effacées pour te mettre dans l’embarras.

— Oui mais qui ? Tous les collègues sont adorables avec moi, et personne ne savait que j’avais une sauvegarde sur cette clé USB particulièrement… enfin je ne crois pas, en tout cas…

— Qu’ont dit tes supérieurs ?

— Ils ne m’ont pas cru quand j’ai dit que je ne savais pas comment tout avait disparu. Pour eux, j’ai manqué de rigueur et de prudence… Ils… Ils sont très déçus. Ils m’ont retiré l’affaire, et je crois que je vais passer le reste de la semaine à faire de la paperasse comme avant… »


Je n’en reviens pas. C’est logique, quand même, elle ne se serait pas sabotée elle-même comme ça ! Ils commencent à la connaître, ils savent bien qu’Aude est plus rigoureuse que ça…

Apparemment, ils n’ont vraiment rien voulu savoir. Aude me promet qu’elle va essayer de mener l’enquête et de redoubler de prudence à l’avenir, mais j’ai un mauvais pressentiment…



A partir de ce jour-là, ça a été une descente aux enfers pour elle. Elle s’est finalement vu confier un autre dossier assez rapidement, mais même chose, les données ont disparues au bout de quelques jours. Cette fois-ci, elle ne s’était pas séparée de sa copie sur sa clé, et à la maison, elle a pu vérifier que tout était bien encore dessus. Sauf qu’en la branchant sur l’ordinateur de son travail, même chose, au lieu d’être copiées, elles ont disparus. Après inspection par l’équipe d’informatique, elle avait en effet un virus sur son ordinateur, mais ses supérieurs ont pensé qu’elle avait été sur des sites peu recommandables pour l’avoir attrapé (ce qui est faux, bien évidemment). Elle a été mise à pied pendant une semaine, et ça l’a dévastée. Cependant, le pire est arrivé plus tard.


A l’hôpital, j’ai l’impression que tout le monde me regarde. Pas méchamment hein, mais c’était un peu pesant. J’ai vérifié, je n’ai pas de salade entre les dents, mes dreads sont bien attachées… Lorsque je croise le regard des gens, ils me font un sourire compatissant et détournent les yeux en rougissant. Allons bon, que se passe-t-il ? Je finis par craquer et demande à un de mes collègues que j’ai surpris à me regarder en coin aussi.


« Eh, Dai, non mais sérieux… Qu’est-ce que vous avez tous aujourd’hui ? »


J’ai même pas enlevé mes lunettes d’analyse… Ça me perturbe cette histoire.


« Tu… sais pas ? demande-t-il en regardant furtivement derrière lui.

— Ben non, c’est pour ça que je te demande. »

Un raclement de gorge se fait entendre. C’est le médecin qui est en train de faire des analyses derrières nous.


« En fait, ça fait quelques jours qu’on entend que –

— Daisuke, intervient le médecin, tes analyses ne vont pas se faire toutes seules.

— Ah, oui, pardon… Euh… On en reparle, hein, Aran… »


Je fronce les sourcils. C’est moi ou on vient clairement de l’empêcher de me dire quelque chose, là ?


Frustré, je me lève et retourne voir mes patients. Je n’ai pas envie de me mettre un des médecins du service à dos, donc je n’insiste pas, mais je vais tirer ça au clair, aujourd’hui, ou dans les jours qui viennent.



Lorsque je rentre à la maison sans plus de réponse, j’espère pouvoir me confier à Aude. Peut-être qu’elle verra quelque chose que je n’ai pas vu. Sauf qu’à peine ai-je franchi la porte d’entrée que le sens l’atmosphère lourde qui règne dans le salon. Aude est là, sur le canapé, sans bouger, assise devant la télévision éteinte. Ses mains sont crispées sur le tissu de son pantalon, le bout de ses doigts presque blanc.

Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche qu’elle souffle :


« Ils ont réussi à me faire détester Windenburg. »


Je mets un temps à comprendre ses mots. De quoi parle-t-elle ? Je n’ai cependant pas le temps de le lui demander, puisqu’elle enchaîne.


« J’ai des souvenirs tellement merveilleux de cette ville, avec mes mamans, et avec toi. C’est une petite ville dans laquelle je m’imaginais parfaitement vivre le reste de ma vie, avoir des enfants et les élever ici… »


Je m’approche et finis par m’asseoir près d’elle.


« Mais non. Même ça, il a fallu qu’on me l’enlève…

— Je suis navré Aude, mais… de quoi tu parles… ? »


Elle me regarde, les yeux humides.


« Tu sais ce qu’on dit partout en ce moment ? Tu sais ce que c’est, la rumeur tendance du moment ? »


Son ton s’élève, elle est en colère. Instinctivement, je recule un peu dans le canapé.


« Il paraît que je te trompe, Aran. J’en savais rien, mais apparemment, tout le monde en est persuadé ! »


J’ai l’impression d’avoir avalé un gros bloc de glace. Je repense aux regards des patients, de Dai.


« Ça a commencé au sein du cabinet. Une rumeur a circulé comme quoi j’avais une liaison avec un de mes collègues. Mais je l’ai ignorée. Qu’est-ce que j’en ai à faire, de ce que les gens pensent, hein ? J’aurais pas dû. Mes collègues se sont éloignés de moi petit à petit, et… Windenburg est une petite ville. Maintenant, tout le monde pense que le gentil médecin qui vit au sud du centre-ville se fait tromper par son horrible femme. Tu verrais comment les gens me regardent dans la rue depuis quelques jours… Aujourd’hui, la boulangère a refusé de me servir parce que, je cite, elle ne cautionne pas un comportement aussi odieux que le mien. »


Sa voix a fini par se briser et elle fond en larmes à la fin de sa tirade.


« Aude… »

« C-Comment est-ce que je suis censée vivre normalement, maintenant ? Tu es mon seul ami dans cette ville, Aran, je… »


Mon cœur se brise un peu plus et je la prends par les épaules pour l’enlacer. Elle se blottit contre moi et pleure toutes les larmes de son corps. Je suis à la fois dévasté et furieux. Quelqu’un s’est donné beaucoup de mal pour que tout aille de mal en pis dans sa vie. Ce n’est pas le fruit du hasard, tout ce qui s’est passé ces derniers mois.


Lorsqu’elle est calmée, je lui fais part de mes doutes en lui prenant les mains, et elle rit. Pas un vrai rire, évidemment, un rire… résigné.


« Tu crois que je n’avais pas fais le lien ? Mais le truc, Aran, c’est que je n’ai aucun moyen de savoir qui est à l’origine de tout ça. Et… très honnêtement, je n’ai pas la force de chercher. Je… Je veux m’en aller. »


Un temps.


« T-T’en aller… Que… Tu veux qu’on… parte de Windenburg ? Mais… Peut-être qu’il y a moyen de régler le souci, je…

— Le souci ? C’est plus que ça, bon sang ! s’exclame-t-elle en retirant sa main des miennes. J’aimerai m’en foutre du regard des autres, mais c’est pas possible ! Je travaille dans le seul cabinet d’avocats de la ville, tu veux que je fasse comment ? Que je renonce à ma carrière ? C’est ça ? Que je… »


Elle s’arrête. Elle me regarde, et je crois lire du dégoût dans ses yeux.

« Tu ne veux pas partir à cause de l’hôpital ?

— Attends, je… c’est soudain, je n’ai même pas encore assimilé…

— Je devrais tout arrêter et vivre comme femme au foyer parce que ta carrière est plus importante que la mienne ?

— Non, Aude, je n’ai pas dis ça, arrête…

— Alors quoi ?! »


Stupéfait, je ne trouve rien à dire, et elle finit par détourner les yeux en soupirant.


« Excuse-moi, je… je vais aller me coucher, ça vaut mieux…

— Aude, non, il faut qu’on en parle, c’est important, tu as raison…

— Oui, on… on en parlera quand tu rentreras du travail demain. Là je suis… éreintée. »


Elle m’offre un sourire que je devine faux, et elle se lève avant d’aller s’enfermer dans notre chambre, me laissant seul.

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