Vous vous souvenez d’Aude ? Mais si, la fille de la meilleure-amie de maman, Sonia. On est dans le même lycée, c’est cool ! Elle est un peu plus âgée que moi, mais comme on s’entend bien, on passe des récrés ensemble, et des fois elle vient à la maison.
En plus, vous savez quoi ? Elle aime la danse, comme moi ! Du coup, on parle de monter un « club de danse ». J’ai aucune idée de comment on va recruter des membres, mais j’suis motivé ! Et elle aussi, apparemment. Mais en même temps, j’ai un peu peur de pas assumer, j’fais tellement de trucs ! Tiens d’ailleurs, je dois partir au taf, là. Allez, on se motive… ! Oh ! Les premières neiges de l’année ! C’est joli.
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Je sais pas comment faire. Aran a raison, il faudrait que je saisisse la justice. Max m’a sauvée d’une altercation assez violente la dernière fois… et j’ai vraiment peur qu’un jour il arrive trop tard.
« C’est dingue que mon petit frère de quinze ans soit plus alerte que moi, non ? Enfin, il a toujours été intelligent, mais quand même… »
Aujourd’hui, j’ai demandé à Max si on pouvait se voir en dehors du travail. Peut-être qu’il sera de bon conseil.
« Mais en même temps, Jean est le fils du PDG, qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— Eh, Syrah, on va trouver une solution, t’inquiète pas ! Viens, allonge-toi avec moi. »
Il s’allonge par terre sur la terre et après un moment d’hésitation je l’imite.
« Tu vois ce nuage, là-bas ? C’est toi. Tu es libre comme lui, parce que tu as décidé que la société ne te dicterait pas ce que tu dois être et comment tu dois l’être. »
« Des salauds comme Jean, qui profitent de leur soi-disant pouvoir, tu cesseras jamais d’en rencontrer, peu importe où tu te trouves. Tu peux décider de les ignorer, comme ce nuage, ou au contraire de taper du poing sur la table, et d’agir. Y’a pas de bonne solution. L’une implique que tu changes de boîte, et l’autre que tu saisisses la justice. L’une comme l’autre de ces solutions va te demander de l’énergie. L’énergie de quitter un travail que t’aimes, ou l’énergie de traîner en justice un abruti. Peut-être que la première solution est plus facile, quelque part, mais si tu sens que c’est la bonne, fonce. Je sais que ça paraît facile à dire, mais ‘faut savoir se préserver et reconnaître quand on en peut plus. »
Il tourne la tête vers moi et me regarde dans les yeux.
« Et toi, t’en peux plus. »
Je détourne le regard. Il a raison. Je suis passée par des phases pas très drôles tout au long de mon adolescence, et maintenant que ça va mieux à ce niveau-là, voilà que je ne peux même pas m’épanouir dans mon milieu professionnel parce que des gens ont décidé que je n’avais pas le droit d’exister comme je suis. Je me redresse et aide Max à se relever. Une fois debout, je lui demande :
« Ça va aujourd’hui ?
— Bof, comme d’hab. La douleur est toujours là, j’apprends à vivre avec… »
Je hoche la tête et lui propose qu’on aille s’asseoir sur un banc pour l’aider, ce qu’il accepte. Max est atteint de fibromyalgie. Il a des douleurs diffuses musculaires et articulatoires qui sont plus ou moins insupportables selon les jours. Ça lui arrive parfois de ne pas venir travailler quand la douleur est trop intense.
« Au fait, j’ai eu un aperçu du jeu sur lequel tu bosses en ce moment, il a l’air top ! »
« Merci, c’est un projet qui me tient vraiment à cœur. D’ailleurs, quand le tien sera terminé, et si tu… es encore là, tu pourras m’aider dessus, t’en penses quoi ?
— Oh, ça serait avec plaisir, si les chefs sont d’accord. »
On discute un bon moment, et on finit par reparler des problèmes de boulot. Je lui avoue que je joue de la guitare et que plus le temps passe, plus je me dis que ça pourrait être un métier alternatif. Certes, plus casse-gueule, mais tout aussi intéressant.
« Tu es pleine de surprise Syrah, décidément. J’aimerai bien t’entendre jouer, un de ces quatre. »
Je pique un fard mais hoche la tête en souriant. Pourquoi pas ?
Lorsque la fin de l’après-midi arrive, on se lève pour rentrer. Mais avant de se séparer, je l’enlace et le remercie de m’avoir écoutée et conseillée.
Il rit et dit que je peux lui payer un restau pour compenser, avec un clin d’œil.
« Tu me dragues, Max ?
— Et si c’était le cas, tu ferais quoi ? »
Bah tiens, c’est bien la première fois que ça m’arrive ça. Et je le connais, il n’est pas en train de se moquer.
« Je… Je sais pas, je…
— Hahaha, t’inquiète, je te demande pas de m’épouser ! Enfin, pas pour l’instant. Mais si jamais t’as envie qu’on se fasse un restau, hésite pas. »
Ignorant mon air choqué, il me fait un signe et quitte le parc. Lorsque je reprends mes esprits, je rougis jusqu’à la racine des cheveux et me prends la tête dans les mains.
« Mais quel idiot… »
Cependant, je ne peux pas m’empêcher de sourire.
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Vous savez quand on se demandait si Aegis avait quelqu’un dans sa vie ? Bon, je lui ai demandé, elle a rien voulu me dire, la méchante… Mais par contre… Syrah, elle est carrément louche. Des fois, elle regarde son téléphone, et elle a un grand sourire aux lèvres, et j’vous jure, on dirait un sourire amoureux ! En plus, elle joue et chante plus que des chansons d’amour à la guitare. J’ai reconnu All of Me l’autre jour, et Quand on n’a que l’amour… Et non, c’est pas une coïncidence ! C’est super rare qu’elle joue pas du rock déjà, mais alors là…
J’suis sûr que c’est Max. Si, si. On l’a revu plusieurs fois, alors qu’il la raccompagnait, et lui aussi, il a un air super niais collé au visage. Tss… Pas discrets pour un sou ceux-là !
M’enfin, ils font ce qu’ils veulent, et Syrah nous en parlera quand elle sera prête.
… Ça m’a pas empêché de tomber sur eux un jour alors que je suis entré sans frapper dans sa chambre pour lui demander de l’aide en maths.
Je voulais pas voir ça moi ! Comment ça, c’est ma faute pour être entré sans frapper ? Allez voir ailleurs si j’y suis. Bref, je suis ressorti en courant et en claquant la porte. J’ai quand même essayé de lui tirer les verres du nez après ça mais elle m’a juste regardé en souriant parce qu’elle savait que ça m’avait gêné et elle a ignoré ma question. Elle m’énerve !!
Enfin, pas vraiment, mais voilà. Aegis et elle, c’pareil. Moi si j’avais quelqu’un dans ma vie je le dirais à tout le monde ! Enfin, je crois, j’en sais rien en fait…
Rien à voir, mais je lui demande de temps en temps si elle a décidé d’appeler Albae ou pas. Apparemment elle réfléchit encore, et ça s’est un peu calmé au bureau. Elle m’a précisé que c’est pas si simple, et que c’est le fils du patron celui qui la harcèle vraiment, les autres font que le suivre. Je comprends, c’est assez chaud… mais si jamais son père le sait et qu’il cautionne pas, y’aura peut-être même pas besoin de traîner ça en justice, par contre… Donc ça peut avoir un avantage, en fait ? A voir.
De mon côté j’essaie vraiment de m’appliquer au boulot pour pas me faire renvoyer pour une bêtise, et entre mes révisions je m’accorde des moments pour danser. Ce sont vraiment mes moments préférés je crois !
Papa a tellement l’habitude maintenant qu’il ne fait même plus attention, que je fasse ça à 7h du matin ou à minuit le soir. Il me fait confiance pour être responsable, et il a raison. Je sais que mon sommeil est sacré si je veux pouvoir être performant dans la journée. Mais je case mes petits moments où je peux !
Albae passe jouer aux échecs avec maman aussi de temps en temps.
Bon, je la soupçonne de se montrer plus souvent pour donner l’occasion à Syrah de l’aborder en personne, mais pour l’instant ça ne fonctionne pas trop. Elle ne la force pas parce que finalement la décision est sienne, mais j’aimerai vraiment qu’elle soit en sécurité… Vous n’imaginez pas comment je me sens dès qu’elle est au boulot ! Et je crois que c’est pareil pour tout le monde.
Et puis un jour, alors qu’Albae est là et qu’elle joue avec maman, on reçoit un coup de fil d’un Max complètement paniqué.
Syrah est aux urgences.
On dirait que cette fois, il est arrivé trop tard.
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